Chronique islandaise – décembre 2024

  • 30 novembre : élections dues à une crise provoquée par le premier ministre, dans lesquelles celui-ci parvient à sauver l’essentiel de son parti.
  • 21 décembre :  grâce à des compromis acceptés par les présidentes de trois partis, un contrat de législature est négocié et signé, que devront mettre en œuvre les 11 ministres (dont 4 hommes) du gouvernement des Valkyries. C’est simple quand on veut.

Comme il n’y a pas que la politique, j’ai consacré quelques lignes au commerce extérieur dont l’analyse montre une évolution essentielle de l’économie islandaise : des ressources naturelles aux ressources humaines.

Espérons que tout ceci sera confirmé en 2025.

Meilleurs vœux à toutes et tous !

Michel

Islande : vers un « gouvernement des Valkyries ? »

Bjarni Benediktsson, Premier Ministre et président du parti de l’Indépendance, annonce le 13 octobre qu’il va rencontrer Halla Tómasdóttir, présidente de la République, pour lui demander conformément à la constitution de dissoudre l’Alþingi. Ce qu’elle fait : des élections auront lieu le 30 novembre. Bjarni joue gros. Certes il prétend être poussé par l’irresponsabilité de la Gauche Verte, mais il sait que précipiter les élections est le seul moyen d’éviter une probable déroute de son parti s’il attend septembre 2025, fin de la législature. D’ores et déjà les sondages sont mauvais pour lui et ses « alliés » : le parti de l’Indépendance tomberait de 17 sièges à 10, le parti du Progrès de 13 à 5, et la Gauche Verte disparaitrait de l’Alþingi. En face il assiste à deux compétitions, entre Redressement et l’Alliance social-démocrate (ASD) d’une part et d’autre part entre le parti du Centre et celui du Peuple, avec néanmoins une avance pour les deux premiers cités. Selon les mêmes sondages, aucune majorité de deux partis ne paraît possible.

fin stratège ou chanceux ?

Le 30 novembre Bjarni peut être soulagé : son parti ne perd que deux sièges. Comme à chaque élection législative les électeurs tentés par une aventure en dehors du parti dominant la politique islandaise depuis 100 ans sont « revenus à la maison ». Ses ex-alliés ne peuvent pas en dire autant :  le parti du Progrès passe de 13 à 5 sièges, et la Gauche Verte perd ses 8 sièges.

Les deux partis annoncés vainqueurs le sont, mais moins que prévu : l’ASD aura 15 sièges et Redressement 11. La surprise vient du parti du Peuple qui, avec ses 10 sièges (8 pour le parti du Centre), s’installe en arbitre dans la construction du futur gouvernement.

Dès le lundi 2 décembre Halla reçoit les président(e)s de tous les partis dans l’ordre de leurs résultats, et annonce le lendemain avoir mandaté Kristrún Frostadóttir (ASD) pour former un gouvernement. Est-ce le meilleur choix pour une majorité stable ?   Halla a désigné le parti arrivé en tête. Il ne lui appartient pas de juger si Kristrún sera ou non en mesure de construire un gouvernement capable de durer. C’est à celle-ci de faire ses preuves !  D’autres possibilités existent si elle n’y parvient pas.

Et on sait que Kristrún est déjà en contact avec Þorgerður Katrín Gunnarsdóttir (Redressement) et Inga Sæland (parti du Peuple). Si elle réussit ce sera ce qu’on appelle déjà le gouvernement des Valkyries. Ces dernières se mettent immédiatement à l’œuvre en se rencontrant chez l’une ou l’autre et en créant des groupes de travail. Rien ne transpire de leurs rencontres sinon qu’elles en sont très satisfaites, car « des Valkyries doivent vaincre » (Inga). Elles espèrent parvenir à un programme complet et une liste de ministres avant Noël. Belle performance si l’on considère qu’en Islande plus qu’ailleurs la période est avant tout propice à la fête !

Un examen superficiel pourrait laisser croire qu’il y a peu à négocier. Sur les sujets les plus clivants, tels que l’immigration et l’adhésion à l’UE ou encore la fiscalité chacune a laissé entendre que des compromis sont possibles. Le plus important est que l’on a affaire à trois femmes totalement différentes. Suivons le même ordre que Halla.

Kristrún Frostadóttir (36 ans) est née à Reykjavík et y a  fait des études d’économie, complétées à Boston et Yale. Ella a ensuite travaillé comme économiste dans divers établissements financiers notamment Morgan Stanley à Londres et New-York. Elle est élue députée ASD de Reykjavík en septembre 2021 et accède sans opposition à la présidence de ce parti en octobre 2022. De 9.9% à l’élection de 2021, son parti bondit à 15% fin octobre, 25% fin janvier, 27% début 2024, pour ensuite lentement retomber autour de 20%. Que s’est-il passé ?  Certainement la déception après cet enthousiasme pour la nouveauté politique dont les électeurs islandais sont coutumiers… avant d’aller voter ! Et cette déception repose sur des annonces intempestives mal reçues par d’anciens dirigeants de son parti et une partie de son électorat, par exemple sur l’immigration, où elle propose de s’inspirer de l’exemple danois, ou la reprise des négociations d’adhésion à l’UE qu’elle veut reporter en fin de législature. Elle sera la technocrate des Valkyries.

A l’inverse Þorgerður Katrín Gunnarsdóttir (59 ans) a un passé politique chargé, qu’elle entame au sein du parti de l’indépendance dès ses études de droit. Elle est élue députée à Reykjavík en 1999 et sera présente à l’Alþingi jusqu’à ce jour, hormis une interruption entre 2013 et 2016. Elle occupe divers postes ministériels et est vice-présidente du parti de l‘Indépendance de 2010 à 2015 aux cotés de Bjarni Benediktsson. L’année suivante elle rejoint le tout nouveau parti « Redressement » fondé par les « européens » du parti de l’Indépendance. Elle  est réélue députée en 2016 sous cette nouvelle étiquette et redevient ministre dans un gouvernement dirigé par… Bjarni. Elle accède à la présidence de Redressement en 2017 et n’aura de cesse de développer pour son parti une image social-libérale le distinguant toujours plus clairement du parti de l’Indépendance, au point d’en absorber une partie des électeurs. Même née dans une famille d’artistes, Þorgerður Katrín représente pour beaucoup la grande bourgeoisie de la capitale.

1991 – championne de karaoké

Inga Sæland (64 ans) en est l’antithèse. Née dans une famille de pêcheurs à Ólafsfjörður, mère de quatre enfants, elle a fait des études de droit et de sciences politiques à Reykjavík. Elle est aussi une chanteuse reconnue et a été célèbre comme championne d’Islande de karaoké. C’est pourquoi elle est peu prise au sérieux lorsque en 2016 elle fonde le parti du Peuple qui s’adresse aux Islandais qui connaissent « la souffrance, la pauvreté, la discrimination et l’injustice ». De même elle surprend beaucoup lorsqu’elle se compare – à tort ! – à Marine Le Pen, peut-être parce qu’elle est hostile à l’immigration, perçue comme détournant des sommes qui pourraient être mises à disposition d’Islandais en difficultés. Mais son parti obtient 4 sièges en 2017, 6 en 2012 et 10 en 2024. Inga a la réputation de laisser peu de place aux députés de son parti, et on le comprend lorsqu’il leur arrive d’intervenir. Cette fois pourtant elle a su attirer Ragnar Þór Ingólfsson, ancien président de VR le plus grand syndicat islandais. Et cette présence est évidente sur une plateforme électorale axée sur les besoins quotidiens des Islandais plus que sur l’immigration, à la différence du parti du Centre, son concurrent populiste, qui fait grise mine. Ainsi est vérifié par son contraire l’axiome selon lequel « lorsqu’un parti n’a rien à dire, il parle de l’immigration ».

Car chacun a compris que j’ai écrit ces lignes avec un œil sur l’actualité politique française !

Chronique islandaise novembre 2024

Bonjour,

C’était prévu : l’élection législative du 30 novembre engendrerait un véritable séisme dans la vie politique islandaise. C’est le cas, avec notamment la disparition de la Gauche Verte et des Pirates. De plus la place prise par le parti du Peuple de Inga Sæland est une vraie surprise, là où l’on attendait le parti du Centre. Autre (demie) surprise : la résistance du parti de l’Indépendance, qui montre à nouveau que ce parti n’est pas encore en Islande un parti comme les autres. A l’heure de cet envoi Krstrún Frostadóttir, officiellement chargée de constituer un gouvernement, est en négociation avec  Þorgerður Katrín Gunnarsdóttir (Redressement) et Inga Sæland (parti du Peuple) pour construire ce que ses opposants ont déjà qualifié de « gouvernement des Valkyries »…

Je vous souhaite bonne lecture de cette chronique et de bonnes fêtes de fin d’année.

Michel

Islande : à 2 semaines des élections législatives…

Nous voici à mi-chemin d’élections prévues le 30 novembre. Les discours vont bon train, ainsi que les sondages. Et ceux-ci, comme on pouvait s’y attendre, font apparaître des tendances inhabituelles, et qui peuvent encore évoluer.

l’Alþingi

Parmi ces sondages l’un d’eux devrait servir de référence à la construction des programmes : « qu’est-ce qui est important ? »  En date du 7 novembre Gallup publie une enquête par laquelle il a été demandé aux personnes interrogées de citer les 5 sujets les plus importants à leurs yeux. Les résultats peuvent être classés en trois catégories : en tête entre 61 et 69% : la santé, la situation économique et le logement. Viennent ensuite, entre 36 et 30%, l’éducation, les communications, les immigrés et les personnes âgées. Enfin, entre 17 et 20%, sont cités l’environnement, les demandeurs d’asile et la jeunesse. Lorsqu’un seul choix peut être cité, l’économie (26%) vient avant la santé (19%), alors que l’immigration et l’environnement ne sont cités que par 5% des personnes sondées.

Ce 15 novembre, les partis apportant des réponses à ces sujets de préoccupation ont ils les faveurs de l’électorat ?

Ces sujets dominent pour deux des partis placés en tête : Alliance Social-Démocrate et Redressement qui, à entendre leurs porte-paroles, pourraient facilement faire alliance. Ils sont aussi cités par le parti du Peuple et le parti Socialiste, mais le premier y ajoute une opposition à l’accueil de réfugiés. Cette opposition est au cœur du programme du parti du Centre : « pas un seul réfugié ! », auquel Sigmundur Davíð Gunnlaugsson ajoute pour faire bonne mesure une baisse des impôts et une réduction des dépenses, selon une recette qui vient de réussir à son modèle américain. Quant au parti de l’Indépendance il semble croire qu’il reprendra le terrain perdu au profit du parti du Centre en copiant son programme. Ce choix explique la perte de terrain au profit de Redressement. A l’inverse le parti du Progrès, que l’on croyait réticent à l’immigration au nom des valeurs traditionnelles de l’Islande, fait un virage qui surprend : « reproche-t-on aux immigrés de ne pas parler islandais ?  Il suffit de le leur apprendre » s’exclame Sigurður Ingi Jóhannsson, son président. La Gauche Verte, troisième parti de la coalition jusqu’à son récent départ, se bat pour sa survie et revient à l’un de ses fondamentaux : sortir de l’OTAN. Mais le neutralisme peut-il payer en ces temps de guerre ? Tous ces partis sont quasi-muets sur une éventuelle adhésion à l’UE.

Est-ce si important ?  L’électeur islandais ne va pas voter pour un programme que l’on distingue mal d’un autre mais pour des personnalités, celle qui localement lui est proche et celle qui dirige le parti. Ceci apparaît clairement par son contraire pour deux partis, l’Alliance Social-démocrate qui, toujours en tête des intentions de vote, n’a cessé de perdre du terrain tant sa nouvelle présidente, Kristrún Torfadóttir, d’abord portée au pinacle, a déçu par son manque de charisme et ses maladresses de communication. Ça l’est plus encore pour les Pirates qui se refusent à toute incarnation par respect d’une règle fondatrice du mouvement européen dont ils sont issus : pas de président(e). C’est oublier que le mouvement est né en Islande en 2013 et a été porté à 30% des intentions de vote par une personnalité d’un charisme exceptionnel : Birgitta Jónsdóttir.  

Il y a au total 1282 candidats dans les 6 circonscriptions, soit 0.5% des inscrits, répartis en 61 listes dont 24 sont conduites par des femmes. Le scrutin a lieu à la représentation proportionnelle dans chacune des circonscriptions avec répartition des restes à la plus forte moyenne. Toutefois, dans le souci d’être aussi juste que possible une nouvelle répartition des restes a lieu au niveau national pour l’attribution de sièges réservés à cet effet. Les partis n’ayant pas obtenu 5% des suffrages exprimés sont éliminés.

Pour ce scrutin les listes présentées par chaque parti, qu’elles aient été construites directement ou à la suite de primaires, laissent présager, quels que soient les résultats, l’arrivée de personnalités « civiles » qui ont fait l’actualité de ces dernières années, par exemple Ragnar Þór Ingólfsson, en congé de la présidence de VR le plus grand syndicat islandais, pour prendre la tête d’une liste du parti du Peuple, ou Solveig Anna Jónsdóttir (Efling) sur une liste du parti Socialiste. Autres exemples : ceux de Alma Möller et Þórolfur Guðnason, deux membres du trio qui s’est illustré lors de la crise du Covid, engagés l’une à l’Alliance social-démocrate, l’autre dans Redressement.

Bjarni à la tribune

On doit donc s’attendre à un Alþingi bien différent de celui que Bjarni Benediktsson, Premier Ministre et président du parti de l’Indépendance a décidé seul de dissoudre. Est-ce ce qu’il voulait ?

Chronique islandaise – octobre 2024

Bonjour,

13 octobre : Bjarni Benediktsson, Premier ministre, annonce qu’il va demander à Halla Tómasdóttir, nouvelle Présidente, la dissolution de l’Alþingi. En cause : désaccord de plus en plus profond avec la Gauche Verte.

Des élections auront donc lieu le 30 novembre, avec une très forte probabilité de bouleversement dans la vie politique islandaise. C’est pourquoi j’ai voulu en faire le thème essentiel de cette chronique. Mais, par peur de lasser, j’ai écrit un article complémentaire et plus détaillé dans mon blog.

Beaucoup de lecture, mais en France le 1er novembre est férié !

Cordialement,

Michel