Islande : dissolution et élections anticipées du 30 novembre

Cet article vient en complément à ma chronique d’octobre où j’annonce la dissolution de l’Alþingi et des élections prévues le 30 novembre.

Pour confirmer l’importance de l’enjeu je reprends ci-dessous le tableau de ma chronique montrant les résultats en nombre de sièges de deux dernières élections et un sondage du 28 octobre : la coalition au pouvoir depuis 2017 tomberait de 38 à 15 sièges sur 63 !

C’est donc un gros pavé que Bjarni Benediktsson, Premier Ministre pour un mois encore et président du parti de l’Indépendance, a jeté dans la mare, provoquant dans la vie politique islandaise un séisme rarement connu. Son calcul est-il bon ?  Même tombé très bas dans les sondages, son parti reste le plus puissant d’Islande. Si l’on considère ses réseaux et le fréquent « retour à la maison » de ses électeurs il a les ressources pour refaire une partie de son retard. Ce n’est pas le cas du parti du Progrès, et encore moins celui de la Gauche Verte qui va devoir se battre pour sa survie. C’est pourquoi un panorama des forces en présence est intéressant.

Les causes immédiates de la crise nous sont connues : désaccords sur l’immigration, alors que Guðrún Hafsteinsdóttir, ministre de l’Intérieur, parti de l’Indépendance, veut faire voter une nouvelle loi ajoutant à celle votée récemment donnant la possibilité de rétention en milieu fermé des immigrés en situation irrégulière, ce que refuse la Gauche Verte, mais aussi sur la relance de la production d’électricité, ainsi que sur la chasse à la baleine. Tous ces désaccords, anciens, apparaissent au grand jour pour deux raisons principales : Katrín Jakobsdóttir a quitté la tête du gouvernement pour une candidature malheureuse à la présidence de la République alors qu’elle avait toujours su trouver les compromis permettant de poursuivre la coopération de trois partis pourtant disparates ; de plus ceux-ci espéraient encore redresser la barre avant la fin de la législature, quitte à exposer plus encore leurs désaccords. Mais être dépassé par le parti du Centre après l’Alliance social-démocrate est insupportable à Bjarni.  Pour autant son coup de barre à droite sur l’immigration n’enrayera pas l’hémorragie. En s’appropriant voire plus les propos anti-immigrants du parti du Centre il ne fait que les valider. Et il perd aussi au profit de Redressement, qui en est une émanation pro-UE, une partie de ses électeurs les moins à droite.

Le deuxième niveau de cause est la construction en 2017 d’une alliance entre trois partis dont deux étaient porteurs de valeurs bien différentes. Mais c‘était aussi la seule alliance possible, et la vie politique islandaise, qui repose sur des personnalités autant que sur des programmes, a connu d’autres expériences comparables. La très forte popularité personnelle de Katrín Jakobsdóttir et le sens du compromis de Sigurður Ingi Jóhannsson (parti du Progrès) pouvaient servir de liants, ainsi que, très involontairement, la nécessité de faire face au Covid. Mais les compromis acceptés au sommet ne plaisaient pas toujours à la base, surtout à gauche !  Il est vite apparu que Katrín n’aurait pas dû engager son parti, déjà perdant en 2021, dans un nouveau gouvernement. En acceptant d’être la caution d’une politique toujours plus à droite, elle a entrainé son mouvement vers une possible disparition. Elle a aussi perdu sa popularité personnelle, ce que les électeurs à l’élection présidentielle de juin 2024 lui ont fait payer durement.

D=Sjálfsæðisflokkur

La vraie révolution, engagée depuis la crise financière de 2008 mais encore peu visible, est ailleurs : la perte d’influence du parti de l’Indépendance. Fondé en 1929 ce parti a toujours dominé la vie politique jusqu’en 2010 avec des scores variant de 25 à 40%. Ses présidents ont tous été Premier Ministre pour des durées pouvant aller jusqu’à 13 ans (Davíð Oddsson 1991-2004). Plus qu’un parti politique il est une institution, longtemps dominée par une famille – Engeyarættin, du nom de l’île Engey (Kollafjörður), berceau de la famille – , présente partout et dans tous les secteurs d’activité de l’île, notamment la pêche. Le quotidien Morgunblaðið, qui lui est rattaché, a été le support d’information le plus lu en Islande avant l’apparition de la presse en ligne, partisan dans ses éditoriaux, aujourd’hui rédigés par un Davíð Oddsson vengeur, mais de bonne qualité rédactionnelle. C’est dire que ce parti dispose de relais importants dans toute l’île, et de financements abondants de la part de très riches armateurs. Malgré sa chute dans les sondages il reste très présent et devrait pouvoir limiter sa défaite.

Il n’en va pas de même de son « compagnon » parti du Progrès, né en 1916 comme parti agrarien. Lui aussi très puissant jusqu’à la fin du siècle dernier car adossé au mouvement coopératif (voir ici), et à un syndicalisme agricole très actif, il a mal résisté à la quasi disparition des paysans et n’a pas su construire une offre politique originale. Il est orphelin lorsque Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, adhérent de fraîche date, en prend la tête à la hussarde. Je relate la suite dans deux articles de blog (ici et ) où la percée du parti aux élections municipales, notamment à Reykjavik, a pu faire croire à une résurrection, malheureusement non confirmée, faute de renouvellement de l’offre.

Inga

Contre toute attente la résurrection semble ce jour du côté du parti du Centre de Sigmundur Davíð, comme si les électeurs ne lui tenaient plus rigueur de son apparition dans les Panama Papers alors qu’il est Premier Ministre, ni des propos nauséabonds à l’égard des femmes membres de l’Alþingi (voir chronique de février 2018) tenus et enregistrés dans le café Klaustur par lui-même et son équipe. Il y a évidemment un lien entre cette résurrection et la crispation autour de l’immigration (voir ici ), mais le discours de SDG est parfois si confus que l’on ne sait jusqu’où il est prêt à aller. Un autre parti, le parti du Peuple, devrait profiter de cette crispation. Ce parti est la création en 2016 d’une personne, Inga Sæland, qui porte une version plus « charité » du populisme que celle de SDG. C’est pourquoi les passages de l’un à l’autre sont fréquents selon l’opportunité de leur discours.

Þorgerður Katrín

Autre surprise : la progression de « Redressement[2], ». Ce parti est né voici 10 ans d’une scission pro UE du parti de l’Indépendance ; il est vite rejoint par son actuelle présidente Þorgerður Katrín Gunnarsdóttir, ancienne vice-présidente et ministre du parti de l’Indépendance. Toujours autour de 10% d’intentions de vote, le voici qui en octobre saute à 16% et dépasse le parti de l’Indépendance. En dehors de son souhait d’adhésion à l’UE, le programme de ce parti ne s’est jamais vraiment distingué du parti de l’Indépendance, comme en témoigne la traduction anglaise qu’il s’est choisie, et il reste très ancré dans la bonne bourgeoisie de la capitale. Il est possible que son progrès dans les sondages, qu’il faudra confirmer, résulte d’une désaffection d’anciens soutiens du parti de l’Indépendance, mal à l’aise dans les discours et choix droitiers de Bjarni Benediktsson surtout depuis qu’il est Premier Ministre.

Résurrection enfin, celle de l’Alliance social-démocrate, qui se manifeste en octobre 2022 dès que Kristrún Frostadóttir, économiste de 36 ans, accède à sa présidence. De 15% des intentions de vote elle passe rapidement à près de 30%, puis décroît lentement. Malaise ?  Il semble que la nouvelle présidente ait une pratique peu participative du pouvoir. Elle surprend, même en interne, lorsqu’elle annonce que son parti aura désormais la même approche de l’immigration que son homologue danois, ou qu’elle semble faire peu de cas d’une éventuelle adhésion à l’UE jusqu’ici essentielle à son parti. On note aussi qu’il n’y aura pas eu de primaires pour la désignation des candidats à l’élection à venir. Kristrún : « Nous avons voulu que nos candidats soient le reflet de la société islandaise dans sa diversité et nous nous présentons comme un parti uni autour de ces candidats (…) Nous devons maintenant rassembler notre peuple autour de réformes qui seront importantes pour lui » (RÚV 27/10) Future Première Ministre ?

Cheffes de l’opposition : Þorgerður Katrín Gunnarsdóttir (Redressement), Inga Sæland (parti du Peuple), Þórhildur Sunna Ævarsdóttir (¨Pirates), Kristrún Frostadóttir (Soc. Démocrates)

Je reviendrai dans un prochain article sur les programmes des divers partis en présence … quand ils seront plus clairs, mais je rappelle qu’ils importent moins en Islande que les dirigeant(e)s !


[1] Sondage Maskina du 28/10

L’immigration en Islande vue par l’OCDE

Il a été beaucoup question d’immigration dans mes dernières chroniques et dans ce blog alors que ce sujet n’avait guère été abordé auparavant faute d’avoir une place dans le débat publique. Il y a fait irruption pendant l’été 2023 lorsque Jón Gunnarsson, alors ministre de l’Intérieur, s’est offusqué d’être dans l’impossibilité de renvoyer tous les immigrés auxquels le Bureau de l’Immigration avait refusé un permis de séjour (voir ici).

À en juger par le sondage que je citai alors, l’effet a été immédiat : 60% des sondés pensent que le nombre de réfugiés accueillis en Islande est trop élevé, contre 17 % d’un avis contraire et 23% trouvent ce niveau acceptable, alors que le même sondage effectué les années précédentes depuis 2017 divisait les sondés en trois tiers.

Guðrún Hafsteinsdóttir, qui lui succède, n’est pas en reste, même si elle doit céder sur le cas de Yazan, ce jeune myopathe que la police a tenté d’expulser avec sa famille dans la nuit du 17 septembre (voir ma chronique de ce mois). Le fait qu’elle ait bondi en tête des personnalités politiques les plus populaires est significatif. Faut-il croire comme certains commentateurs qu’il s’agit uniquement d’un coup de barre à droite du parti de l’Indépendance pour faire pièce au parti du Centre avant des élections législatives qui vont certainement être avancées au printemps ?

Le récent rapport de l’OCDE « Skills and Labour Market Integration of Immigrants and their Children in Iceland » permet de mieux comprendre la situation.

Il commence par deux constats qui à eux seuls expliquent le plus grand nombre des problèmes rencontrés :

  •   l’Islande a connu (parmi les pays de l’OCDE) l’accroissement le plus rapide du nombre des personnes nées à l’étranger avec quatre personnes sur cinq venues librement. Fin 2023 plus de 18% de la population islandaise est née à l’étranger contre 8% 10 ans auparavant[1],
  • Le nombre sans précédent d’arrivées de réfugiés a bousculé le système d’accueil, obligeant les autorités à répondre vite. En 2022 3455 personnes ont demandé l’asile, soit 350 de plus que l’année antérieure. Parmi eux il y avait 2300 Ukrainiens et 700 Vénézuéliens. Ce nombre est tombé à 1970 personnes.

Fort heureusement les immigrés trouvent facilement un emploi :

  • Le taux d’immigrés ayant un emploi (89% en 2022) est le plus élevé de l’OCDE. Ceci est dû à un fort taux d’activité, mais aussi au bon niveau de compétences des immigrés d’où qu’ils viennent,
  • Mais ces compétences ne sont pas toujours bien utilisées, où 10% des Islandais sont considérés comme surqualifiés pour leur emploi contre 35% pour les étrangers. Une explication est le grand nombre de ces derniers dans les emplois liés au tourisme.

Et l’OCDE met le doigt sur un problème que l’on croyait résolu par la connaissance généralisée de l’anglais :

  • La langue est une barrière à un emploi de qualité, ainsi qu’à une bonne information sur les dispositifs facilitant l’intégration,
  • Mais les autorités n’ont pas engagé beaucoup de moyens pour favoriser l’apprentissage de l’islandais.

Des autorités surprises

Plus généralement l’accueil des immigrants n’a pas été selon l’OCDE un sujet de préoccupation pour les autorités et celles-ci ne disposent pas encore d’outils pour en suivre la progression. C’est vrai en particulier pour l’accueil des enfants à l’école, alors que la plupart ne parlent pas islandais chez eux.

Le rapport nous décrit donc un pays dont les autorités se sont laissé surprendre par une immigration inconnue avant 2000, d’autant plus facilement qu’elle était nécessaire à une activité économique soutenue. S’y mêle une certaine satisfaction à être ainsi attractifs. Il est vrai que ces immigrés viennent pour l’essentiel d’Europe, notamment de Pologne (près de la moitié). L’accueil est aisé : il y a du travail, celui que les Islandais ont tendance à déserter, et la communication peut avoir lieu en anglais, même approximatif.

Mais ces immigrés s’installent, deviennent plus exigeants pour eux-mêmes et leurs enfants. Les arrivées se poursuivent et se diversifient avec notamment celles de réfugiés qu’il faut accueillir dans l’urgence. Les faits divers deviennent plus nombreux, agressions, trafics divers, prostitution, qui impliquent certains des nouveaux venus, mais aussi des Islandais.  Et l’on apprend que bien des employeurs n’hésitent pas à exploiter la vulnérabilité d’immigrés connaissant mal leurs droits, qu’il s’agisse des salaires ou des horaires de travail. Mais seule parmi les organisations syndicales, Efling (deuxième syndicat) s’intéresse à ces nouveaux cas, notamment pour les emplois peu qualifiés occupés par des femmes.

réfugiés soudanais – nouveaux Islandais ?

Ce n’est qu’à partir de 2012 que des plans d’action sont envisagés, dont la réalisation dépend largement de municipalités parfois réticentes. En 2023, une nouvelle loi est votée où l’on tente de trouver un juste équilibre entre un accueil de qualité à l’arrivée puis à plus long terme, d’une part, et d’autre part une plus grande rigueur dans l’octroi des permis de séjour, sur le modèle des cousins nordiques.

L’apprentissage de l’islandais

Le rapport OCDE montre aussi que contrairement à une idée reçue – et paresseuse ! – une bonne connaissance de l’anglais ne suffit pas assurer une véritable inclusion dans la société islandaise. A l’instar de ce qui est mis en pratique dans les autres pays nordiques, où pourtant le bilinguisme est plus large et plus ancien qu’en Islande, il paraît indispensable de mettre l’accent sur l’apprentissage et la pratique de la langue locale. Ainsi au Danemark on dépense à ce sujet sept fois plus par immigré qu’en Islande. Et c’est plus vrai encore pour le jeune âge. Les enfants d’immigrés sont insuffisamment exposés à l’islandais, tant chez eux où l’on parlera de préférence la langue d’origine, qu’à l’école, où les nombreuses activités périscolaires sont elles-mêmes animées par des personnes non-islandophones.

Alors ?

Ce ne sont que quelques illustrations de la situation à ce jour. La liste d’actions suggérées dans le rapport est longue et ambitieuse. Mais avec près d’un quart de la population née hors de l’île les gouvernements islandais actuels et à venir n’ont d’autre choix que les mettre en œuvre pour favoriser une inclusion dont leur île saura tirer profit. Il est donc regrettable que le parti de l’Indépendance, longtemps architecte de l’Islande moderne, ait fait le choix de la crispation et de la démagogie en prévision d’élections incertaines, pour entraîner avec lui une partie de l’opinion. Et que les autres partis, notamment l’Alliance social -démocrate, aujourd’hui dominante, semblent bien hésitants !


[1] Et je rappelle que plus de 50000 des 380000 Islandais vivent en dehors de leur île, ce qui porte à 23 % des habitants de l’île le nombre d’étrangers qui y sont installés

Chronique islandaise – septembre 2024

Bonjour,

Voici une chronique courte – septembre n’a que 30 jours -, mais elle est accompagnée de deux suppléments :

  • une invitation, ci-jointe, à une conférence « sur la faille – l’Islande à la croisée des défis contemporains » organisée à la Bibliothèque Nordique (Paris) le 17 octobre dans le cadre des Nuits des Idées,
  • un article de blog à venir très vite à propos d’un excellent rapport de l’OCDE sur l’immigration en Islande.

C’est que ce sujet, pour avoir été trop longtemps ignoré des autorités, est maintenant au centre de l’actualité, tant dans son volet inclusion que dans celui de la répression !

Je vous en souhaite bonne lecture,

Michel  

Chronique islandaise – juillet-août 2024

Bonjour,

J’espère que vous avez passé un bel été, au chaud ou au froid. En Islande l’actualité de l’été a été paresseuse, mais pleine de signaux faibles qui font présager des mois riches en actualités, politiques, sociales et économiques. J’essaierai d’en rendre compte le mieux possible.

Cordialement,

Michel

Chronique islandaise – juin 2024

Bonjour,

Dans cette chronique de juin il est question de réforme constitutionnelle, de salaires et de chasse à la baleine. Mais comme toujours l’essentiel est à la fin : quel nom officiel portera Björn l’heureux époux de Halla, nouvelle présidente ?  À ma connaissance, la question n’est pas encore tranchée…  Des idées ?

Je vous souhaite un bon été,

Cordialement,

Michel