Il n’y aura eu qu’un article dans « l’lslande aujourd’hui » pour décembre, mais il a fait recette ! La présentation du système islandais de retraite, très différent du système français ancien et apparemment à venir, a été vue, et peut-être lue, 537 fois. Voici qui méritait quelque repos !
Si j’en juge par les autres statistiques, les inscriptions et les réactions, je comprends que ce blog intéresse surtout des personnes connaissant déjà les « îliens » (je n’ose plus dire Islandais puisque 54000 vivent hors de l’île, « remplacés » par un nombre équivalent d’étrangers !), pour qui je me fais le plaisir d’approfondir tel sujet que j’aborderais plus rapidement dans ma chronique mensuelle. N’hésitez donc pas à formuler des demandes, auxquelles je m’efforcerai de répondre dans la mesure des informations que je puis rassembler, avec, j’espère, le concours de telle ou tel d‘entre vous.
Actuellement je réfléchis à un article sur l’Église Nationale. C’est un sujet passionnant tant il plonge dans l’histoire de l’île et est aujourd’hui révélateur des évolutions rapides que connaît sa population. J’attends pour le rédiger de voir si Áslaug Anna Sigurbjörnsdóttir, dirigeante d’un parti très conservateur sur le sujet, ira jusqu’au bout du projet de séparation annoncé dès sa prise de fonction comme Ministre de l’Intérieur, et quelles seront les réactions…
A tous je souhaite de joyeuses fêtes de fin d’année et une
excellente année 2020.
En ces temps où le mot « retraite » est sur
toutes les bouches françaises j’ai cru intéressant de donner quelques
informations sur le système islandais. Toutefois, je plaide l’indulgence :
les systèmes de retraite, quels qu’ils soient, ne se comprennent bien( ?)
que de l’intérieur. C’est pourquoi des erreurs sont possibles, et je recevrai
volontiers toutes remarques.
Même s’il a fait l’objet d’amendements en cours
d’application dans le vaste accord social signé en début d’année 2019, l’architecture
du système islandais reste inchangée et c’est celle-ci qui nous intéresse.
J’ajoute qu’elle est aux antipodes du système français, et plus encore de celui
qui se dessine, notamment parce qu’il y a en Islande 21 caisses et que personne
ne s’en émeut.
Autre antipode : il n’est pas concevable en Islande qu’un
système de retraite et ses amendements ne soient pas le résultat d’accords
collectifs entre employeurs et employés, et éventuellement l’État s’il doit y
contribuer, ce qui est le cas pour le « pilier I » et les
exonérations fiscales sur les cotisations.
Le système islandais repose en effet sur trois
« piliers » (stoð)[1].
Le principal est le pilier 2 (lífeyrissjóðir – 67% des sommes
distribuées), obligatoire, et géré par les 21 caisses mentionnées plus haut. Il
est privé, comme l’est le pilier 3 (viðbótarlifeyríssparnaður – 10% des
sommes distribuées), qui, lui, est optionnel. Le pilier I (Almannatryggingar
– 23% des sommes distribuées) est public et conçu pour compléter les deux
précédents et assurer à toutes les personnes résidant en Islande un revenu
minimal supérieur au « seuil de pauvreté » (60% du revenu médian
disponible). Le taux plein est atteint avec une résidence de 40 ans entre 16 et
67 ans[2],
et proraté pour les durées inférieures.
Le pilier I est financé par l’impôt sur le revenu. Le pilier
II est financé par une cotisation de 4 % sur les revenus des actifs, salariés
et indépendants, et 8% progressivement portés à 11.5% pour les employeurs. La
cotisation pour le pilier III est de 2 ou 4% pour les actifs, et 2% pour les
employeurs. L’adhésion à ce pilier est encouragée par des exonérations fiscales
sur les cotisations.
Le choix de la caisse du pilier 2 dépend de la convention
collective applicable au salarié. Certaines en imposent une, d’autres non. En
conséquence quelques caisses sont ouvertes à tous, y compris les travailleurs
indépendants, et donc en concurrence, alors que les autres n’accueillent que
certaines professions. C’est vrai en particulier du secteur public.
Ces caisses sont toutes gérées paritairement. La loi leur
impose de prévoir, outre une pension de retraite, une rente au conjoint
survivant et aux personnes handicapées. À cela s’ajoutent des services, qui vont
les rendre plus ou moins attractives. Pour ce qui concerne la pension de retraite,
la loi fixe un objectif, pas toujours atteint, de 56% du revenu moyen perçu tout
au long de la vie active, corrigé de l’inflation. Le taux plein est en principe
obtenu pour 42 ans d’activité et un âge de 67 ans. L’ensemble est coordonné par
une instance nationale (Landsamtök lífeyrisjóða).
Les 21 caisses représentent une capitalisation totale de
1.5 fois le PNB islandais, avec de grandes disparités entre elles puisque les
trois plus grosses gèrent la moitié de cette capitalisation. Elles sont donc pour
l’économie islandaise un poumon important auquel il peut être fait appel comme
à des banques, au point que des investissements parfois hasardeux, notamment en
devises étrangères, ont conduit quelques-unes d’entre elles au bord de la
faillite lors de la crise de 2008, ce qui explique un certain nombre de fusions,
et aussi un renforcement des règles de gestion qui leur sont imposées.
La question légitime est : combien reçoivent-ils ? La réponse est malaisée tant sont différentes
les situations. Mais on peut considérer qu’une personne ayant cotisé 42 ans et
prenant sa retraite à 67 ans recevra environ 100% de son revenu moyen
d’activité, sensiblement plus si ce revenu est inférieur à la moyenne et moins
s’il lui est supérieur, ce qui s’explique par la compensation qu’apporte le
pilier I.
Il est vrai que la situation démographique actuelle est très
positive : 5 personnes entre 15 et 66 ans pour 1 personne de 67 ans ou
plus. Ce taux devrait tomber à 4 en 2030 et à 3 en 2050. ! Mais on voit que le système est suffisamment
souple, et suffisamment forte (aujourd’hui !!!) la volonté des partenaires
sociaux de s’accorder, pour croire que des solutions seront trouvées…
Que lui arrive-t-il ? demandai-je le mois dernier après que l’Islande ait été portée sur la « liste grise » des pays insuffisamment engagés dans la lutte contre le blanchiment d’argent, et rétrogradée de la 1ère à la 5ème place pour la place des femmes ! Le scandale de l’armateur Samherji est d’une toute autre ampleur, où l’on a acheté des ministres namibiens pour pouvoir surexploiter une ressource vitale pour la population de ce pays. « Pas grave » disent Sigmundur Davíð Gunnlaugsson et ses amis du Parti du Centre. Est-ce pour cela que leur parti gagne trois points dans les sondages et talonne le Parti de l’Indépendance ?
Tel est le texte d’accompagnement à ma chronique de novembre ; pas très optimiste sur les réactions au scandale Samherji déjà évoqué ici, au point que le Président de Namibie en vient à se moquer de l’inertie des Islandais, alors qu’il a fait mettre six personnes en prison ! A suivre,
… c’est en tout cas ce qu’affirme le 13 novembre à l’Alþingi Halldóra Mogensen, qui préside le groupe parlementaire du parti des Pïrates. Elle est immédiatement rejointe par Oddný G. Harðardóttir, puis par Hanna Katrín Friðriksson, ses homologues de l’Alliance Social-démocrate et de Redressement. Seul de l’opposition, le parti du Centre de Sigmundur Davíð Gunnlaugsson ne parait pas troublé.
De quoi s’agit-il ? Samherji, l’un des plus gros armateurs de l’île, aurait versé au moins 110 milliards d’Ikr (environ 900 millions d’€) à des intermédiaires locaux bien placés pour pouvoir pêcher à proximité des côtes namibiennes, au-delà des quotas autorisés par le gouvernement du pays. La source des journalistes de Stundin (journal en ligne) et Kveikur (cellule d’enquête de RÚV) est sure : Jóhannes Stefánsson, ancien responsable de Samherji en Namibie, qui se serait confié à Wikileaks et aurait fourni toutes les preuves nécessaires.
Dans un communiqué fielleux[1] du 12 novembre Samherji cite Þorsteinn Már Baldvinsson, son PDG et principal actionnaire : «nous avons été déçus d’apprendre que Jóhannes Stefánsson, ancien responsable des opérations de Samherji en Namibie, a été impliqué dans des pratiques contestables et a peut-être engagé Samherji dans des actions illégales », et rappelle que Jóhannes a été licencié en 2016. Þorsteinn Már annonce qu’il se met en retrait de ses fonctions « pour ne pas gêner les enquêtes ». Comme s’il était spectateur et ne portait aucune responsabilité dans l’affaire ?
Mais on apprend aussi que, non content de surexploiter jusqu’à épuisement une ressource vitale pour le peuple namibien, Samherji n’en a pas non plus fait profiter les Islandais puisqu’une large partie de ses gains a été transférée aux Îles Marshall par l’intermédiaire d’une banque norvégienne et a servi à payer les salaires des équipages de chalutiers opérant en Namibie, mais aussi sur les côtes marocaines, mauritaniennes ou encore angolaises !
Innocence perdue ? La question n’est pas nouvelle, déjà posée par exemple dans le the End of Iceland’s Innocence, paru en 2010, où le politologue canadien Daniel Chartier fait une très intéressante étude de la presse, islandaise et étrangère, au moment de la crise financière de 2008. Elle est à rapprocher du rapport du GAFI ayant conduit l’Islande sur la « liste grise » (voir mon article à ce propos sur ce blog). « Et si, demande Indriði H. Þórlaksson, ancien chef du service des impôts, sur le site de Stundin, notre apparition sur la « liste grise » ne venait pas seulement d’une négligence des services en charge ?«
Cet article est rédigé dans un pays, la France, où l’on juge au mieux naïf de vouloir faire quelque commerce que ce soit avec les pays africains et d’autres sans acheter très cher les « conseils » d’intermédiaires locaux. Mais en Islande on en parle !!! Si l’innocence est perdue – pourquoi les Islandais devraient-ils être plus innocents que d’autres ? – les réactions que je cite montrent qu’ils ont su garder leurs exigences et leur candeur. A ce jour !
[1] Voir site en anglais de l’armement. Lire aussi la page history de ce site qui répertorie les principales étapes d’une aventure