L’Islande et la social-démocratie

Je lis récemment une enquête du journal Le Monde daté du 22 janvier sur le renouveau de la social-démocratie dans les pays scandinaves. Pays scandinaves ?  L’Islande n’a pas à y être !  Oui mais dans un encart « les pays nordiques sous pavillon rose » les auteurs citent aussi la Finlande, et joignent la Norvège aux pays de l’UE (sic). Où Le Monde célèbrerait le fait que quatre pays nordico-scandinaves ont un premier ministre social-démocrate, dont trois femmes !

Premiers Ministres selon l’aiguille d’une montre : Jonas Gahr Store (Norvège), Mette Frederiksen (Danemark), Magdalena Andersson (Suède), Sanna Marin (Finlande)

C’est le moment de renouveler la question : pourquoi la social-démocratie n’a-t-elle jamais été dominante en Islande ?

Il y a aujourd’hui une « Alliance Social Démocrate » (Samfylkingin), dans l’opposition avec 6 députés dans l’Alþingi élu le 25 septembre 2021 ; et une représentation en dents de scie, 20 députés en 2009, 3 en 2016, 7 en 2017…

Cette alliance est issue d’une histoire tourmentée surtout marquée, pour ce qui concerne l’après-guerre, par le souci de proposer une alternative de gauche à la toute-puissance du parti de l’Indépendance souvent associé au parti du Progrès. Deux partis essaient d’occuper l’espace politique qui reste : le parti du Peuple (Alþýðuflokkur) et l’Alliance du Peuple (Alþýðubandalag). Le premier, né en 1916, et voulu comme équivalent des partis sociaux-démocrates nordiques, reste autour de 10 à 15% jusqu’à sa disparition en 1998. Quant à l’Alliance du Peuple, fondée en 1956, elle regroupe des dissidents du parti du Peuple, le parti Socialiste (communiste), et des dirigeants du puissant syndicalisme salarié fédéré dans la confédération ASÍ. Son audience est en moyenne comparable à celle du parti du Peuple. Les deux organisations vont se regrouper en 1998 et s’associer d’autres mouvements tels le parti des Femmes pour donner naissance à l’Alliance Social-démocrate, que trois députés vont immédiatement quitter pour créer la Gauche Verte. Ce qui les distingue alors est surtout l’adhésion à l’UE, voulue par l’Alliance Social-démocrate mais rejetée par la Gauche Verte. Pourtant ils parviennent à surmonter leurs divergences pour être ensemble au pouvoir de 2009 à 2013. Mais leurs relations sont tumultueuses, et c’est bien ce tumulte qui explique la déconsidération dans laquelle ils sont tombés malgré une sortie de crise remarquable.

Logi

Qu’est-ce qui les distingue aujourd’hui, alors que l’un dirige le gouvernement avec Katrín Jakobsdóttir, et l’autre, dirigé par Logi Einarsson, est dans l’opposition ?  L’adhésion à l’UE ?  Oui, officiellement, mais qui en parle encore ?   L’écologie ?  Celle-ci est officiellement portée par la Gauche Verte, mais cette dernière est visiblement bridée par le parti de l’Indépendance, dans le nouveau gouvernement plus encore que dans l’ancien, alors que tous les autres partis s’en sont emparés. De plus ces deux partis ont été clairement défaits lors des dernières élections législatives : l’Alliance de 7 à 6 députés et la Gauche Verte de 11 à 8, soit aujourd’hui un total de 14 députés sur 63.

Alors l’Islande serait-elle une exception parmi les pays nordiques ?

La doctrine social-démocrate nordique est gardée par une organisation appelée SAMAK, qui rassemble les partis socio-démocrates de ces pays et les confédérations syndicales qui leur sont proches, soit pour l’Islande l’Alliance Social-démocrate et l’ASÍ. En voici les « Trois Piliers» (voir ici). On notera que les marchés y restent présents, comme outils de régulation et non de pilotage.

Le renouveau évoqué dans Le Monde tient au choix de mettre clairement ces trois piliers au service des « classes laborieuses » (« plus de solutions collectives et moins d’expériences de marché » selon Magdalena Andersson – Suède), en rupture avec le virage voulu en fin de siècle dernier par Tony Blair et alors suivi par les pays Nordiques.

A ces trois piliers il convient d’ajouter évidemment l’écologie, mais aussi le choix récent d’être restrictifs sur l’immigration, et même vraiment très-très restrictifs pour ce qui concerne le Danemark, au point de vouloir externaliser l’asile : « une société avec un état-providence universel n’est pas compatible avec une politique migratoire ouverte » (Mette Frederiksen – Danemark). Ses trois collègues sont moins brutaux, mais avec des taux d’immigration variant de 15 à 20%, ils sont sensibles au fait que celle-ci inquiète, car concurrence, les classes laborieuses plus que les classes bourgeoises. Mais ils savent aussi qu’il faut la conjuguer avec une natalité déclinante, d’où la nécessité d’une intégration de qualité. Car l’état-providence universel ne résistera pas plus au vieillissement de la population qu’au « grand remplacement » que Mette Frederiksen semble craindre.

Et l’Islande ?  A lire leurs déclarations, aucun des huit partis aujourd’hui présents à l’Alþingi ne contesterait les «Trois Piliers », même le parti de l’Indépendance de Bjarni Benediktsson. Les différences doivent être cherchées ailleurs :

  • le parti de l’Indépendance peut d’autant plus aisément faire siens les Trois Piliers que, au pouvoir depuis un siècle pratiquement sans discontinuer, et par ses réseaux dans la société civile, il a su monopoliser la « gouvernance » et casser toute structure qui lui ferait de l’ombre, notamment le mouvement coopératif,
  • le libéralisme qu’il porte, et auquel il a su associer des alliés, jusqu’à la Gauche Verte, a permis de conjuguer un bon niveau de prospérité et ce goût d’entreprendre auquel les Islandais sont viscéralement attachés, car il fonde une communauté à laquelle chacun doit être utile,
  • il n’empêche que, malgré les efforts et l’habileté de Bjarni et son équipe proche, l’audience de ce parti ne cesse de s’éroder sous l’effet d’exigences bien résumées par les Trois Piliers,
  • mais pour ce qui concerne ceux-ci, l’Alliance Social-démocrate est clairement concurrencée par d’autres partis, tels les Pirates… et aussi le plus que centenaire parti du Progrès, auquel Sigurður Ingi Jóhannsson a fait faire un virage porteur de remarquables résultats électoraux, au point qu‘il est en voie de concurrencer son vieux compagnon de route.

Et l’immigration ?  Ce n’est pas pour l’heure un sujet national apparent ; l’emploi ne manque pas, et il y a de réels efforts d’intégration. Mais au détour de telle ou telle décision plus bureaucratique qu’humaine on comprend que le Bureau de l’Immigration veille discrètement et que chacun s’en satisfait…

Chronique islandaise – janvier 2022

Bonjour,

Pour cette première chronique de l’année,  très peu de politique, moins encore d’économique, réservé pour février, mais du social/sociétal de toute sorte…  Et pour l’ouvrir, du sport !!!

Je vous en souhaite bonne lecture, et de nouveau, une très bonne année 2022.

Très cordialement,

Michel

L’Islande et l’ « habitabilité »

Dans cette campagne électorale française où l’on ne peut saisir une bribe de programme, généralement insipide, qu’entre une multitude d’invectives, voici que me parvient un petit livre rafraichissant, « Memo sur la nouvelle classe écologique » des philosophes Bruno Latour et Nikolaj Schultz. Ses auteurs y reprennent des idées déjà exprimées par Bruno Latour et d’autres, et que ce dernier résume ainsi : « extraire le monde où l’on vit du monde dont on vit » et cesser de reconnaître la production comme l’unique critère du progrès. L’idée n’est pas nouvelle ; elle est apparue officiellement dès 1987 sous le nom de « Sustainable Development » – improprement traduit par Développement Durable -dans un rapport onusien rédigé sous la responsabilité de la Norvégienne Gro Harlem Brundtland. Rappelons sa définition :« le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».

Bruno Latour

Et Bruno Latour de s’interroger : pourquoi une idée aussi ancienne, largement reconnue comme fondamentale pour l’avenir de notre monde, ne parvient à rien d’autre, en France en tout cas, que « réussir l’exploit de paniquer les esprits et de faire bailler d’ennui ». Il manquerait selon lui une expression politique entrainante. Et il propose de rassembler l’ensemble écologique dans le concept d’ « habitabilité » de notre planète pour tous les vivants, où toute décision devrait être prise à l’aune de cette habitabilité, et non, comme aujourd’hui, selon son effet immédiat sur le PIB.

Alors dans ce blog, la question vient immédiatement : l’Islande est-elle « habitable » ?  Selon la météo de ce 20 janvier, la réponse est non : neige, vent soufflant à 70km/h, et température autour de 0° !  Pourtant 370000 personnes y vivent, dans une relative prospérité. Et ils se sont forgés une image de sensibilité à l’écologie grâce notamment à la disponibilité d’une énergie largement renouvelable et une inlassable promotion de la Première Ministre Katrín.

Bruno Latour ne dit rien des critères de l’habitabilité, s’en remettant semble-t-il à l’appréciation des êtres concernés. Mais il en est un qui est évident en Islande : le sentiment de copropriété de leur île par ses habitants et donc de co-responsabilité dans sa préservation.

Je l’ai écrit à plusieurs reprises : depuis la colonisation, les Islandais forment une communauté, soit un groupe de personnes conscientes que le partage des ressources est indispensable à leur survie. Mais ils se sentent aussi très vulnérables, et cette vulnérabilité les renvoie sans arrêt à la préservation de leur île dont ils admirent à la fois la beauté et la puissance, bien qu’il lui arrive d’être menaçante, voire dangereuse. Donc cette « superposition entre un monde dont on vit et un monde où l’on vit » que souhaitent nos philosophes paraît exister en Islande. Il est aisé de comprendre qu’elle vient d’un passé où les siècles de misère ont été nombreux, pendant lesquels les Islandais n’ont pu survivre qu’en associant solidarité et ingéniosité, et dans le respect d’un pacte social fort.

Mais l’habitabilité résistera-t-elle à la prospérité d’aujourd’hui ?  Les maisons sont chauffées à 25° et refroidies en ouvrant les fenêtres, les transports publics, locaux ou grandes lignes, ne sont utilisés que par les touristes étrangers, les moteurs de gros 4×4 tournent devant les magasins pendant que leurs propriétaires font leurs achats… Les exemples pullulent de gaspillages par négligence. Certes la mode est aux Teslas, mais s’agit-il de préserver le monde où l’on vit ou de s’y montrer ?  En tout état de cause il faudra construire de nouveaux barrages pour en assurer la circulation !

Et l’expression politique ?  La Gauche Verte de la Première Ministre a subi le 25 septembre une lourde défaite et cette dernière n’a pu garder sa place qu’en acceptant de nouveaux compromis, notamment abandonner l’environnement à un ministre du Parti de l’Indépendance qui l’a perçu comme une dégradation.

Par contre Sigurður Ingi Jóhannsson, Président du Parti du Progrès, et incontestable vainqueur du scrutin, a créé pour lui le titre de « Innviðaráðherra » dont la traduction pourrait s’approcher de ministre de l’Habitabilité, supervisant les communications, les transports et les grandes infrastructures, ainsi que les relations avec les collectivités territoriales, en Islande très puissantes et autonomes. Soit tous les leviers nécessaires pour promouvoir une écologie de terrain. Une nouvelle mue pour le plus ancien parti d’Islande, longtemps qualifié de parti agrarien ?

Chronique islandaise – décembre 2021

Bonjour,

Voici donc ma dernière chronique de 2021, avec malheureusement Covid, plus que jamais vigoureux, en Islande comme ailleurs… Mais il y aussi Dóra et ses 109.5 ans, Birkir qui a répété 14 fois la  même chanson pour devenir l’ « Idol » suédois, ainsi que le budget et les interventions de la Banque Centrale pour maîtriser la couronne…

Et tous mes vœux pour 2022,

Michel

Chronique islandaise – novembre 2021

Bonjour,

11 semaines après les élections voici enfin ce gouvernement tant attendu, soit 12 ministres : 10 des 11 ministres de l’ancien gouvernement et deux entrants, mais une complète réaffectation des portefeuilles, hormis ceux des trois présidents de parti. Peut-être parce qu’ils se connaissent trop bien, les troi(e)s ont construit pour eux mêmes et leurs ministres respectifs un projet dont toute source potentielle de désaccord a été gommée, et dans lequel on se satisfait de corriger à la marge les difficultés rencontrées précédemment. Ou les évacuer…  Dommage !

Je souhaite à tous, après une bonne lecture de ces lignes, de joyeuses fêtes de Noël,

Cordialement,

Michel