Comment on met dans un avion une femme enceinte de 36 semaines !

La photo ci-contre fait le tour de l’Islande, et l’affaire fait grand bruit : dans la nuit du 4 au 5 novembre une femme albanaise a été expulsée avec son compagnon et leur fils de 2 ans alors qu’elle était enceinte de 36 semaines !  Pour la police et l’Office de l’immigration, tout a été fait dans les règles, en accord avec un médecin associé à l’office – que la femme dit n’avoir jamais rencontré ! -. Pourtant au moment de partir elle a été autorisée à aller à l’Hôpital Central car elle saignait du nez. Un certificat été délivré, autorisant un voyage aérien de courte durée. En fait son voyage a duré 19 heures, car la famille a dû changer d’avion à Berlin et à Vienne. A Tirana, ils ont été accueillis par la police.

Les réactions sont violentes : Hallgrímur Helgason, que les francophones connaissent pour La Femme à 1000° et Le Grand Ménage du tueur à gages, demande la démission du Ministre de l’Intérieur, du Chef de la police et du Directeur de l’Office de l’immigration : «vous avez failli ;  nous ne sommes pas satisfaits de cette Islande-là ». Le polémiste Bragi Páll Sigurðarson publie un brûlot dans le journal Stundin sous le titre « Tous ont fait leur travail » . « La police a fait son travail, laissez-la en paix. Elle reçoit des ordres et doit les exécuter. (…) l’Office de l’immigration a fait son travail, laissez-le en paix. Il ne fait qu’appliquer les règles.(…). Une femme enceinte de 9 mois fait son travail, son corps épuisé avec un autre petit corps à l’intérieur (…). Comme l’enfant de 2 ans. Il fait son travail : être un enfant de 2 ans. Mais au lieu de dormir chez lui en sécurité, il est tiré de son lit, conduit à l’aéroport et expulsé du pays par une police qui fait son travail selon des instructions données par l’Office de l’immigration qui ne fait que son travail, conformément à des règles définies par l’Alþingi, dont les membres ne font que leur travail. Ce n’est la faute de personne (…). »

Très vite la charge devient politique. Politique de la part de l’Église luthérienne, dont l’évêque Agnès demande des explications à Áslaug Anna, ministre de l’intérieur, trop heureuse de répondre aux récentes critiques de cette dernière[1]. Politique évidemment de la part des partis d’opposition qui trouvent ces méthodes inhumaines et ont l’intention d’en saisir l’Alþingi. Pour Brynjar Níelsson, député du Parti de l’Indépendance, l’affaire est regrettable, mais il ne comprend pas pourquoi elle devrait prendre un tour politique.

Katrín, première ministre, voudrait que les règles soient clarifiées. Áslaug Anna se dit satisfaite des explications de Þorsteinn Gunnarsson, directeur de l’Office de l’immigration. Et la page tourne…


[1] Áslaug vient d’annoncer sa volonté de complétement supprimer les liens de l’Église Luthérienne, dite « nationale », avec l’État

Les combats de Freyja !!!

Tomber de la première à la cinquième place dans le classement des pays soucieux de l’égalité et la sécurité des femmes (voir mon dernier article) est décevant, mais ce n’est pas honteux !  Si l’Islande reste une référence internationale sur le sujet c’est que de tous temps des femmes l’ont voulu, estimant qu’il leur appartenait de prendre leur vie en mains plutôt que s’en remettre à des compagnons, si bien intentionnés soient-ils. Parmi elles, je voudrais ici parler de Freyja Haraldsdóttir, rencontrée voici quelques années lorsqu‘elle était membre de la Commission Constitutionnelle, posée sur une planche.

Freyja, c’est une très grosse tête toujours tournée du même côté, et deux bras atrophiés, conséquence d’une forme sévère de la maladie des os de verre. Aujourd’hui âgée de 33 ans, elle a un Master en « études du genre » et prépare un doctorat sur la situation des mères handicapées. Après avoir siégé à la Commission Constitutionnelle, Freyja a été élue en 2015 députée suppléante à l’Alþingi pour le parti « Avenir Radieux » depuis disparu. Retirée de la vie politique elle est aujourd’hui assistante à l’Université d’Islande et anime l’association Tabú, lieu d’échanges et de défense des femmes en situation de handicap.

En juin 2014, Freyja a engagé les démarches pour adopter un enfant. Conformément à la loi islandaise, une telle démarche passe par la participation à une formation qu’organise l’Office de protection des enfants. En 2016 cet office refuse la candidature de Freyja : son handicap et l’environnement que celui-ci impose ne lui permettront pas d’élever un enfant dans de bonnes conditions. Le recours de Freyja auprès du Tribunal de Reykjavík est rejeté. Mais la Cour d’Appel réforme ce jugement au motif que l’Office de protection des enfants n’est pas habilité à interdire l’accès de la formation à qui que ce soit. C’est au tour de l’Office de contester ce jugement en s’appuyant sur plusieurs accords internationaux organisant la protection des enfants. Et voici que ce 30 octobre la Cour Suprême donne raison à Freyja. A ce stade, le problème soulevé n’est pas celui du droit d’adopter un enfant, mais celui de postuler !

C’est un débat très difficile auquel Freyja nous invite. Il faut lui en savoir gré, et à la communauté islandaise de permettre son déroulement.

Freyja raconte longuement ses combats, en islandais et en anglais dans son blog.

Rien ne va plus !!!

Voici qu’après avoir été portée sur la « liste grise » des pays peu sérieux pour ce qui concerne le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, l’Islande tombe de la première à la cinquième place dans le classement des pays soucieux de l’égalité et de la sécurité des femmes. C’est bien plus grave que la présence sur la liste grise, tant l’image de l’Islande est associée à l’égalité des sexes. Et ceci au moment même où une première ministre très engagée est présente partout où elle peut valoriser les succès de son île (et de son gouvernement…) sur ce sujet. Mais voici que la Norvège, la Suisse, le Danemark et la Finlande lui passent devant !

Trois critères sont en cause : le taux d’emploi des femmes, qui passe de 77.2 à 68.6%, le sentiment de sécurité, où l’Islande se trouve à 20 points derrière la Suisse, et le résultat des dernières élections législatives, où le nombre de femmes à l’Alþingi est tombé de 30 à 24.

Edda

Dans une tribune qui fait grand bruit, intitulée « Dire une chose et faire l’inverse ! », Edda Hermannsdóttir, directrice du marketing de l’Íslandsbanki, engage sa banque  tant sur la protection de l’environnement que sur la place des femmes : « nous nous engageons à ne pas acheter de services auprès d’entreprises où il n’y a que des hommes, nous n’imprimerons plus de brochures et ne ferons de publicité que dans les supports soucieux d’égalité des sexes… ».

Trop c’est trop : Hjálmar Jónsson, président de l’association des journalistes, appelle au respect de la liberté d’informer, qui elle-même dépend de la publicité,  Helgi Magnús Gunnarsson, juriste, va transférer ses comptes dans une banque plus compréhensive, Bjarni Benediktsson, Ministre des Finances, trouve le projet « bizarre ». Quant à Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, souvent cité ici, il se dit « effrayé » !

Birna Einarsdóttir, présidente de l’ Íslandsbanki, doit calmer le jeu : les intentions de la banque auraient dû être mieux expliquées !

L’Islande sur la « liste grise » !!!

Liste grise ?  Celle des pays que le Groupe d’Action Financière (GAFI ou FATP en anglais) considère comme ne faisant pas assez contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Elle y est le seul pays d’Europe, en bonne compagnie puisque viennent d’y entrer avec elle la Mongolie et le Zimbabwe. Tous trois rejoignent des pays comme le Botswana, la Syrie, le Yémen ou encore Panama et la Corée du Nord, jugés « institutions à haut risque et non coopératives ».

L’émotion est grande : « qui peut croire que nous ayons quoi que ce soit de commun avec les pays qui sont sur cette liste ? » s’écrie Þórdís Kolbrún Reykfjörð Gylfadóttir, Ministre de l’économie (Parti de l’Indépendance), devant l’Alþingi…

Basé à Paris, le GAFI n’est pas une organisation fantaisiste. Il a été créé lors du sommet du G7 en 1989 afin de lutter contre le blanchiment d’argent international et ultérieurement le financement du terrorisme. Il comprend les pays du G7, de l’UE et sept autres pays (dont l’Islande !), et a depuis émis 51 recommandations que les pays doivent suivre.

L’affaire est ancienne et les trois banques qui ont fait faillite en 2009 n’étaient pas totalement blanches sur le sujet. Ultérieurement, suite aux observations du GAFT, un travail de mise en conformité est engagé, apparemment sans enthousiasme jusque 2015. Il semble que les autorités islandaises, trop sûres de leur image d’honnêteté, n’aient pas considéré comme prioritaires les demandes du GAFI. Il est aussi possible que certains Islandais très bien placés n’aient pas eu envie que toute la lumière soit faite sur la provenance de leurs revenus ?  Souvenons-nous du nombre d’Islandais cités sur les Panama Papers, et de la qualité de certains !

Katrín est fachée

Dans un communiqué le Ministère de la Justice estime mal fondée et disproportionnée la décision du GAFI, rappelle les mesures déjà prises et lui demande de revenir sur une décision très dommageable pour l’économie de l’île… mais peut-être salutaire ?

Généalogie à l’islandaise

Après d’austères réflexions sur l’Islande et l’Espace Économique Européen, revenons au sourire avec cette information recueillie dans la presse :

Le Samband ungra sjálfstæðismanna (SUS – association des jeunes du Parti de l’Indépendance), creuset des futurs dirigeants d’un parti politique encore dominant, s’est réuni du 20 au 22 septembre à Akureyri et a renouvelé sa direction à l’issue de ses travaux. Ont été élu(e)s Présidente Halla Sigrún Mathiesen et Vice Président Páll Magnús Pálsson…

Halla Sigrún Mathiesen ?  Elle est la fille de Árni M. Mathiesen, ministre des Finances (Parti de l’Indépendance) de 2005 à 2009, lui-même fils de Mathias Á. Mathiesen, ancien ministre. Árni est notamment connu pour une conversation téléphonique orageuse avec Alistair Darling, son homologue britannique, le 7 octobre 2008, à l’issue de laquelle celui-ci donnera le coup de grâce au système bancaire islandais en inscrivant notre île sur la liste des organisations terroristes mondiales et fera saisir manu militari les derniers actifs de Landsbanki sur sa propre île.

Et Páll Magnús Pálsson ?  Il est le fils de Páll Magnússon, député depuis 2016 (Parti de l’Indépendance), lui-même fils de Magnús H. Magnússon, ancien ministre. Avant d’être élu à l’Alþingi, Páll Magnússon était Directeur Général de RÚV (radio et TV nationale) et est actuellement de très méchante humeur car il n’est pas ministre !  L’auteur de l’article se fait encore plaisir en précisant que la fiancée de Páll le jeune est la fille d’un premier mariage de Ágústa Johnson, aujourd’hui épouse de Gunnlaugur Þór Þorðarson, Ministre des Affaires Etrangères (Parti de l’Indépendance).

Cette quasi consanguinité n’est pas en Islande une spécialité du Parti de l’Indépendance mais y est plus fréquente que dans d’autres partis. On pourrait la compléter d’une multitude d’exemples, le plus célèbre étant les Engeyingar (famille de Bjarni Benediktsson, président de ce parti, ainsi nommés car l’île Engey est le berceau de la dynastie). Ces liens sont le plus souvent rapportés avec le sourire et même de la fierté, comme une caractéristique de la société islandaise. D’autres s’en agacent, au point d’en paraître gênés comme s’il s’agissait d’une preuve de sous-développement.

L’Islande n’est évidemment pas seule à connaître ce type de situation. Mais elle est nécessairement beaucoup plus fréquente quand la population est peu nombreuse. Encore plus si celle-ci (80000 seulement au début du XXème siècle) est sortie de la misère grâce à quelques entrepreneurs audacieux qui ont associé responsabilités économiques et politiques, et dont certains descendants ont su rester au premier plan. Tous se connaissent, sont cousins, sont allés dans les mêmes lycées où pendant quatre ans l’engagement au service de la communauté a été valorisé. Pourtant, même si comme ailleurs il est plus facile de progresser si l’on est fille ou fils de…, cette élite n’est pas imperméable. Et les exemples sont nombreux de réussite d’enfants de pêcheurs ou de fermiers…  qui s’empressent de fonder à leur tour une dynastie !