Il est encore question de réfugiés dans ma chronique de septembre 2023, à la suite d’un surprenant sondage d’opinion pourtant passé inaperçu. Autre surprise, celle d’importants dirigeants syndicaux qui appellent à abandonner la couronne islandaise, alors que le Banque Centrale devrait une nouvelle fois monter son taux directeur. Vous appendrez aussi que les baleines sont des animaux extrêmement polluants et que les saumons d’élevage sont en train d’envahir les rivières du nord-ouest au grand dam des pêcheurs.
Voici ma chronique de l’été, où il est beaucoup question de cette majorité qui n’en est plus une, et des conséquences sur la vie de l’île, mais se termine par une invitation de la commune d’Ólafsvík avec son « panneau du baiser » !
Juin a été un mois d’événements intéressants : parti de l’Indépendance se considérant comme encore propriétaire d’un gouvernement au bord de l’implosion, confirmation que la vente d’Íslandsbanki a fait l’objet de manipulations peu légales, suspension brutale de la chasse à la baleine, l’Islande toujours au sommet du Gender Gap Index… Je vous en souhaite bonne lecture, et reste preneur de commentaires.
« Jón a suivi le programme du parti, je vais suivre le programme du parti ».
Voici ce qu’annonce fièrement Guðrún Hafsteinsdóttir, nouvelle ministre de l’intérieur nommée le 18 juin en remplacement de Jón Gunnarsson. Et les naïfs, comme l’auteur de ces lignes, ne peuvent pas ne pas poser la question : alorsà quoi ça sert ?
Car, sans y prendre garde, Guðrún illustre parfaitement la vie politique islandaise, telle que la pratique notamment le parti de l’Indépendance :
transfert de propriété
Ce changement à mi-mandat résulte d’un engagement préélectoral pris par la direction du parti pour s’assurer les bonnes grâces des militants « indépendantistes » de la circonscription électorale du Sud, dont Guðrún, par ailleurs dirigeante de l‘entreprise familiale, est la cheffe de file,
Où l’on a vu Bjarni Benediktsson, président du parti, et Jón Gunnarsson faire tout leur possible pour oublier cet engagement, et Guðrún le rappeler bruyamment,
Selon ses mots Guðrún suivra le programme du parti, notamment en matière d’immigration, et semble totalement ignorer l’accord de gouvernement dont la gestation a pourtant fait l’objet de nombreuses négociations,
Katrín Jakobsdóttir, Première Ministre, ne dit rien de ce changement intervenu dans « son » le gouvernement, qu’elle a, c’est vrai, approuvé en son temps. Elle ne dit rien non plus de choix politiques bien éloignés de ceux que prétend porter son parti,
Seul élément positif : la restauration de la parité au sein du gouvernement. Ce que constate Guðrún : Jón est un homme, je suis une femme !
Tout se passe comme si le parti de l’Indépendance se sentait encore propriétaire de la vie politique islandaise et du gouvernement, et tenait à le faire savoir !
De quoi alimenter le soutien à Kristrún et à l’Alliance social-démocrate ?
Revenons à la question : Bjarni Benediktsson, président du parti de l’Indépendance, a-t-il raison de croire que le progrès de l’Alliance social-démocrate à 30% des intentions de vote n’est que l’un de ces feux de paille dont la vie politique islandaise est coutumière, et notamment l’Alliance ? Ce qui reviendrait à dire que, au-delà de quelques foucades, les attentes des électeurs islandais n’ont pas changé, et que son propre parti gardera longtemps encore la place prépondérante qu’il occupe depuis sa création, voici près d’un siècle ?
Hannes Hafstein (1861-1922) premier Ministre d’Islande basé à Reykjavík (1904-1909 puis 1912-1914)
Ce n’est qu’au milieu du XIXème siècle, après une longue période de misère, que les Islandais se réveillent à l’appel d’étudiants romantiques vivant à Copenhague, vite relayés à partir de 1850 par Jón Sigurðsson. La décision politique passe alors aux mains de visionnaires qui à l’instar d’économistes comme Jean-Baptiste Say ne dissocient pas économique et politique et mettent l’accent sur l’équipement de l’île en même temps que sur son indépendance. C’est le cas évidemment de Jón lui-même, mais aussi par exemple de Hannes Hafstein. A défaut de tels visionnaires le pouvoir est ensuite accaparé par des entrepreneurs, armateurs dont l’expression politique va être le parti de l’Indépendance (voir notamment mon article de blog sur Thor Jensen, et son fils Ólafur Thors), et paysans associés dans un très puissant mouvement coopératif qui défendra ses intérêts à l’aide du Parti du Progrès.
Dans les premières décennies de l’après deuxième guerre mondiale, ces deux partis administrent l’île presque sans discontinuer pour le bien de ceux, personnes physiques ou morales, qu’ils représentent. En face d’eux une opposition de gauche essaie de s’organiser tant bien que mal, sans autre proposition alternative que s’opposer aux deux partis dominants. S’y ajoutent de profondes divisions sur la place de l’Islande dans le monde, et l’adhésion ou non de l’Islande à l’UE.
La crise financière de 2008, et ses casseroles, a les apparences d’une rupture, où les manifestants mettent en doute les motivations et les compétences de leurs dirigeants et demandent des réformes les associant plus étroitement aux décisions politiques, par le biais, notamment, d’une révision de la constitution. On sait ce qui est advenu de ce serpent de mer !
Or, à bientôt 400000 plus 65000 immigrés, les Islandais semblent être à une période charnière de leur histoire. Ils sont comme vêtus d’un costume très élégant, qui semble-t-il, leur sied parfaitement. Mais un examen et une écoute attentifs montrent que de nombreuses coutures sont près de craquer, comme si commençait une mue plus ou moins bien acceptée et vécue par les intéressés. Beaucoup sentent qu’il est temps d’adopter un costume plus grand, d’autres hésitent ou s’y refusent, comme s’ils avaient peur de grandir et perdre leur identité.
Et à cet égard le gouvernement actuel, après avoir très bien géré la pandémie, et malgré quelques mesures sociales le plus souvent imposées par les syndicats, ne parvient plus à cacher ce qu’il est : une tentative de conservation du pouvoir par les partis traditionnels. Sur l’autel duquel, pour des raisons peu claires, Katrín Jakobsdóttir accepte de sacrifier son propre parti et sa popularité.
Alors les Islandais restent à la recherche de l’offre politique qui leur permettrait de réaliser plusieurs objectifs difficiles à concilier : respect des spécificités de leur identité communautaire, notamment la proximité et la solidarité, malgré l’accroissement de leur nombre et de leurs diversités, écoute par leurs dirigeants et participation aux grandes décisions, et confiance en ceux qui leur proposeraient des voies nouvelles. Bref un nouveau projet collectif donnant du sens à la communauté ; mais pour y parvenir, une réflexion approfondie sur les institutions paraît indispensable.
L’Alliance Social-démocrate de Kristrún saura-t-elle répondre à ces attentes ? Un gros travail semble en cours pour renouveler profondément l’offre politique de l’Alliance – qui pourrait peut-être changer de nom ? – . Sa première manifestation a beaucoup surpris : report à des jours plus propices de l’adhésion à l’UE, seule ligne connue jusqu’à présent du programme de ce parti. De plus la demande d’arrêt de la privatisation de l’Íslandsbanki montre une volonté d’intervention plus forte de l’État dans les choix économiques. Par contre elle n’a encore rien dit de la réforme constitutionnelle dont voici 10 ans l’Alliance a été le principal soutien politique.
Trouvera-t-elle des alliés ? Les Pirates ont un programme et une présence très proches de celle voulue par Kristrún. Leur principal handicap est dans leurs statuts : pas de président(e), donc pas de leader(ère) identifiable, dans un pays où la personnalisation est très importante, et ce malgré des individualités de grande compétence sur chaque sujet. Et Redressement (Viðreisn) ? À 10% son poids politique n’est pas négligeable et en ferait un appoint appréciable. Mais, malgré les efforts de Þorgerður Katrín Gunnarsdóttir, il n’est pas encore parvenu à faire oublier qu’il est une dissidence pro UE du parti de l’Indépendance et que ses principaux dirigeants en sont issus.
Autre hypothèse : que le parti de l’Indépendance fasse lui aussi peau neuve… En favorisant l’émergence de jeunes et de femmes, ou les deux, comme Þórdís Kolbrún Gylfadóttir, actuelle ministre des Affaires étrangères, Bjarni a semblé vouloir emprunter ce chemin, mais il est évident que les nombreux caciques du parti ne le laisseront pas poursuivre s’ils doivent y perdre leur confort.
Alors Kristrún, feu de paille ou non ? Malgré la demande, confirmée par les sondages, et ses évidentes qualités, elle aura beaucoup à faire pour réformer un système dont les racines sont très profondes.