Islande : de la musique enfin !!!

Est-ce définitif ou temporaire ?  Avec un taux d’incidence proche de zéro, le nuage Covid a cessé de faire de l’ombre sur toute vie islandaise, notamment musicale. Et voici ce que l’on apprend :

  • Après avoir raflé en 2020 tous les prix possibles dont un Oscar, Hildur Guðnadóttir, obtient le 15 mars le Grammy pour la musique de Jocker, celle-ci même qui lui avait permis de recevoir l’Oscar…

 

  • Lui aussi nominé, pour la meilleure œuvre orchestrale, Daniel Bjarnason et l’Orchestre Symphonique d’Islande n’ont pas eu la même chance avec le disque « Concurrence » qui inclut des œuvres de quatre compositeurs contemporains : Anna Þorvaldsdóttir, Páll Ragnar Pálsson, María Huld Markan Sigfúsdóttir et Haukur Tómasson. En rappelant qu’elle ne se limite pas à la Pop ou la musique de film, ce disque illustre parfaitement la richesse de la vie musicale Islandaise.  Haukur est en particulier l’auteur d’un bel opéra : « Fjórði söngur Guðrúnar » (le quatrième chant de Guðrún) dont le livret est tiré de l’Edda,
Rachel McAdams avec la voix de Molly Sandén
  • Mais la grande question est :  le film « Húsavík » (The Story of a Fire Saga) sera-t-il osc(k)arisé ? Un habitant de Húsavík est particulièrement engagé : Óskar Óskarsson. Et il est en passe d’être satisfait avec  une nomination, non pour le film lui-même, mais pour la meilleure chanson originale. Il est vrai que sans cette chanson, composée par Atli Örvarsson, et superbement interprétée par la Suédoise Molly Sandén, le film ne serait qu’une gentille histoire genre notaleg (feel good) dont l’autodérision a fait le succès sur l’île.

Voici : cet article est très éloigné des grandes réflexions qui irriguent normalement ce blog, mais il m’est bien agréable d’être notalegur à mon tour…

 

Chronique islandaise – février 2021

Bonjour,

La terre tremble, Reykjavík se donne des airs de Chicago… Heureusement il ne se passe plus rien en politique, ce qui m’a permis de contenir ma chronique en un format raisonnable pour un mois de 28 jours. Et, si vous avez le courage d’aller jusqu’au bout, lisez la très belle lettre adressée par le Président Guðni Th. Jóhannesson à l’équipe médicale qui a joint deux bras à Guðmundur Felix.

Cordialement,

Michel

Le mouvement coopératif et le développement de l’économie islandaise

Thor Jensen, dont je racontai ici l’histoire, a pu développer ses entreprises grâce à la pêche, passée en quelques décennies d’appoint pour les fermiers à une activité autonome essentielle dans le commerce extérieur de l’île. Mais en interne l’élevage reste dominant pour pourvoir aux besoins des Islandais. Le marché est étroit, les fermiers les plus entreprenants sont tentés d’exporter une partie de leur production vers l’étranger. Lorsqu’en 1855 Jón Sigurðsson a obtenu la liberté totale de commercer, le principal produit d’exportation des fermiers était les animaux vivants, moutons et chevaux. Afin de profiter au mieux de cette ouverture et ne pas subir la loi de commerçants bien implantés pour la vente de produits de la pêche, ils comprennent qu’ils doivent s’organiser.

SÍS

En 1882 une petite coopérative est créée à Húsavík (nord de l’île) par deux fermiers Jakob Hálfdánarson et Benedikt Jónsson. La Kaupfélag[1] Þyngeyinga a pour objet le commerce à la vente et à l’achat, en l’espèce la vente de chevaux en Angleterre et l’achat en retour de produits introuvables sur l’île. L’opposition de puissantes sociétés de négoce d’origine danoise, soucieuses de préserver leur monopole, les conduit à se transformer en société semi-clandestine et à se rapprocher du mouvement des Équitables Pionniers de Rochdale (Grande Bretagne), considéré comme l’ancêtre du mouvement coopératif, pour en adopter les règles[2]. Ils font vite école, le développement est très rapide, surtout au nord de l’île. Les fermiers profitent en particulier de la création dès 1869, toujours dans le nord, d’une compagnie qui retape et arme un bateau échoué (français !), puis trois autres, pour faire transporter des marchandises vers et depuis le continent. Toutes ces coopératives se fédèrent progressivement jusqu’à créer en 1907 une fédération appelée Sambandskaupfélag Íslands puis en 1910 Samband Íslenzkra Samvinnufélaga plus communément appelée SÍS. Son siège est à Akureyri, où est aussi le siège de KEA (Kaupfélag Eyfirðinga), fondée en 1886 par Hallgrímur Kristinsson, et devenue très vite la plus puissante du mouvement. L’objet de la fédération, dont Hallgrímur sera le premier président, est de favoriser le commerce extérieur de ses membres. Un bureau est ouvert à Copenhague en 1915.

Jónas frá Hriflu

1917 est une année charnière. Le siège de SÍS est transféré à Reykjavík et le Framsóknarflokkur (Parti du Progrès) est créé, clairement identifié comme parti agrarien et appui des coopératives. Dès lors ce parti et SÍS, ainsi que les divers mouvements agricoles, sont très largement consanguins. Les années suivantes sont celles d’un développement échevelé par créations ou acquisitions qui font de SÍS la plus grande puissance économique de l’île, basée sur une très large implantation locale. Il n’est pas de secteurs d’activité dont elle soit absente, allant du commerce de détail à la production ou la transformation de nombreux produits issus de l’élevage et de la pêche, auxquels vont venir s’ajouter des services tels que la banque et l’assurance, et l’armement naval avec la compagnie Hafskip. Dans l’entre-deux guerres un tiers des Islandais sont adhérents à une coopérative et le mouvement occupe jusqu’à 14% de la population active. Malgré ce développement, les valeurs de Rochdale restent présentes et participent à la cohésion de l’ensemble. Pour les promouvoir et former les cadres du mouvement une école (Samvinnuskólinn) est créée dès 1918 par Jónas Jónsson frá Hriflu (1885-1968), un des hommes les plus influents de l’île, à la fois syndicaliste actif, fondateur et député du parti du Progrès et ministre. Archétype de cette consanguinité évoquée plus haut, il est aussi un grand historien et pédagogue. D’abord à Reykjavík, l’école est transférée à Bifröst (nord de Borgarnes) en 1955. C’est aujourd’hui encore un établissement réputé pour l’enseignement supérieur en gestion.

Bifröst

Pourtant à la fin du XXème SÍS explose sous le poids des dettes, la disparition à l’étranger de marchés tels que ceux de l’ex-URSS, et plus encore peut-être sous les coups des gouvernements libéraux conduits par Davíð Oddsson (Parti de l’Indépendance), par idéologie mais surtout pour abaisser le Parti du Progrès pourtant son allié au pouvoir. Symbole : les magasins de SÍS sont remplacés par ceux de Bónus.

Le développement du mouvement coopératif islandais s’est appuyé sur quelques hommes d’exception, tel Jónas frá Hriflu. J’en citerai deux autres, Vilhjálmur Þór et Erlendur Einarsson.

Vilhjálmur

Vilhjálmur Þór (1899-1972) n’a été que quatre hivers à l’école lorsqu’à 12 ans il est embauché par la coopérative KEA comme coursier. A 23 ans, il en prend la direction, et en restera le directeur jusqu’en 1938. Durant cette période il en développe l’activité, de la laiterie et la boulangerie industrielle, à la transformation du poisson et même la pharmacie. Il siège au conseil municipal d’Akureyri pour le Parti du Progrès. Il est administrateur de SÍS de 1936 à 1945. En 1940 il représente son pays, qui n’est pas encore officiellement souverain, aux États-Unis et en obtient une reconnaissance de fait. De 1942 à 1944 il est ministre des Affaires Étrangères, puis prend la direction de la banque Landsbanki, alors réputée banque des paysans, avant de 1945 à 1954 de présider SÍS. Qu’évidemment il développe : assurance, raffinage, caisse d’épargne… Il reprend la direction de Landsbanki en 1954, puis est élu au Conseil de la Banque Mondiale à Washington en 1964. J’en oublie certainement !

Erlendur

La carrière de Erlendur Einarsson (1921-2002) est moins sinueuse, mais aussi riche. Il n’a que 33 ans lorsqu’il succède en 1955 à Vilhjálmur à la tête de SÍS, mais possède déjà une solide expérience du mouvement après de bonnes études commencées en 1941 à la Samvinnuskóli et complétées à l’étranger, jusque Harvard en 1952. Entre temps il a travaillé dès l’âge de 15 ans à la coopérative de la région Skaftafell (Vík) puis à Landsbanki avant de rejoindre SÍS et participer à la fondation en 1946 de la compagnie d’assurance Samvinnutryggingar dont il prend la direction. Président de SÍS de 1955 à 1986 il poursuit le développement du mouvement notamment à l’étranger, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Il est aussi présent dans le Parti du Progrès.

Deux hommes très différents l’un de l’autre, mais dont le cursus illustre, comme celui de Thor Jensen, encore très différent, une constante de l’histoire de l’île : la confiance dans la jeunesse pour enrichir la société islandaise, qu’il s’agisse d’économie, de politique ou de pratiques artistiques.


[1] Littéralement : société d’achat

[2] Les quatre règles fondamentales des Pionniers de Rochdale sont :

  • la « porte ouverte » : il n’y a pas de conditions d’adhésion,
  • « un homme, une voix » : tous les sociétaires ont une voix, quel que soit le nombre d’actions qu’ils possèdent,
  • la répartition des bénéfices entre les membres de la coopérative se fait au prorata de leurs apports,
  • les sociétaires qui ont acheté des actions touchent chaque année un intérêt proportionnel à leurs achats et non au nombre de leurs actions.

Chronique islandaise – janvier 2021

Bonjour,

Hier il n’y a eu aucun nouveau cas de covid et le taux  « domestique » de fréquence est tombé à 6.8. Je me suis donc fait plaisir en reportant le covid en fin de chronique ; mieux, je n’ai pas collé la courbe à deux monts que j’infligeais depuis près d’un an. Vite j’envoie cette chronique avant que ça ne change !!!  Vous y trouverez de l’économie et de la politique, et si vous allez jusqu’au bout  la recette pour tricoter, en version originale, les moufles de Bernie.

Bonne lecture,

Michel

Pour ou contre le Parc des Hautes Terres d’Islande ?

Voici un intéressant paradoxe de la vie socio-politique islandaise : alors qu’à l’Alþingi le débat sur une loi autorisant la création d’un Parc national couvrant tout le centre de l‘île bat son plein, un très récent sondage de l’institut Gallup nous plonge dans la perplexité :

  • 45% des personnes ayant répondu (soit 51.4 % des sondés) sont favorables à la création de ce parc, 34% sont contre et 20% ne se prononcent pas,
  • mais : 31% seulement approuvent le projet de loi déposé par le Ministre de l’Environnement, 43% sont contre, et 26% ne se prononcent pas !

De quoi s’agit-il ?  Le Parc National des Hautes Terres est un projet né en 2015, avec d’abord l’ambition de couvrir 40% de l’île, ensuite ramenée à environ 30% (30000km²) ce qui en ferait néanmoins le plus grand d’Europe. Au-delà de ses objectifs de protection, le projet vise à donner au public l’occasion de connaître et d’apprécier sa nature, sa culture et son histoire, en favorisant le développement local, la recherche, l’éducation, la restauration des écosystèmes dégradés, et les activités de pleine nature.

Inscrit dans l’Accord de gouvernement signé par les trois partis de la majorité, le projet s’est peu à peu concrétisé, d’abord sous forme d’un rapport rédigé par une commission parlementaire (signé par les représentants de tous partis politiques, à l’exception du parti du Centre), puis sous la forme d’un projet de loi introduit début décembre 2020. Toutefois, au pied du mur, les critiques fusent en trois directions : trop de règles, gestion trop centralisée (ou trop décentralisée…), financements peu clairs, auxquelles vient s’ajouter une expérience jugée décevante des autres parcs nationaux, notamment celui du Vatnajökull. Sur les réseaux sociaux, les amateurs de pratiques motorisées se positionnent volontiers en berceau de l’opposition et font circuler une pétition atteignant 15000 signatures. Comme souvent en Islande le débat fait aussi rage dans les médias par échanges de tribunes et contre-attaques.

Alors ?  Inconséquence des électeurs – 43% des sondés reconnaissent une faible connaissance du texte en débat -, erreurs de communication et/ou manque d’autorité du Ministre Guðmundur Ingi Guðbrandsson ?  Peut-être…

Pour Michaël Bishop, guide franco-américain qui s’est passionné pour le sujet au point d’y avoir consacré son mémoire de master (Université d’Islande), le débat actuel témoigne de l’intérêt porté par les Islandais aux haut plateaux du centre. En dépit des désaccords manifestés dans l’arène politique, il ne faut pas perdre de vue que l’idée d’un parc national dans l’intérieur des terres bénéficie d’un soutien important, largement majoritaire jusqu’à l’introduction du projet de loi, comme en témoignent les sondages ci-dessous.

Résultats des sondages nationaux sur le projet (question type : êtes-vous favorable ou opposés à la création d’un Parc National dans les Hautes Terres ?). La dernière ligne (Gallup – BILL) montre l’opinion vis-à-vis de la proposition de loi introduite en décembre.

En 2018, Michaël a organisé un sondage national approfondi sur les réactions au projet, distinguant notamment les « usagers » – ceux qui sont déjà allés dans l’intérieur des terres, soit 68% des personnes interrogées – et les autres, ainsi que la classe d’âge, le sexe, l’orientation politique et le lieu de vie. Il s’agissait d’éclairer le profil récréatif des usagers des Hautes Terres, leurs préférences en termes de gestion touristique (limite du nombre de visiteurs, construction de routes, hébergements), et la gestion des espaces protégés (projet de parc national, sources d’opposition et de soutien, etc…). Ses travaux apportent un éclairage très intéressant sur une question qui ne se satisfait de réponses binaires 

Dans ce sondage 63% des personnes interrogées expriment leur soutien au projet, et seulement 10% lui sont opposées[1]. Mais ce qui est surtout éclairant est le profil associé aux réponses. Ainsi, les personnes opposées au projet sont des « usagers » (88% contre 68% pour les personnes favorables), des hommes (65%), âgés (46% ont plus de 60 ans), vivant hors de la capitale (60%) et fréquentant volontiers les Hautes Terres.

A l’inverse les personnes favorables vivent davantage dans les environs de la capitale (75%), sont politiquement plus à gauche (31% contre 11% chez les opposants) et se disent plus concernées par l’environnement (74% contre 55%). Même si 2/3 d’entre elles sont allées sur les Hautes Terres leurs visites revêtent davantage d’un caractère occasionnel (44% y sont allées 1 à 5 fois, contre 30% chez les opposants) et très largement estival (91%, contre 59% chez les opposants).

En termes de pratiques récréatives, 75% des opposants pratiquent les séjours en jeep, contre 50% pour les supporters ; 26% y pratiquent de la moto neige, contre 7% ; et 19% y rassemblent les moutons à l’automne, contre 4%. En revanche, 22% des supporters du parc font de la randonnée sur plusieurs jours ou du voyage sac à dos, contre seulement 7% des opposants.

Les « usagers » sont plus opposés que les autres à la création du parc national (12% d’opposition, contre 4% pour les « non-usagers »), et à son équipement (en particulier la construction de routes – 41% d’opposition comparé à 27%), mais ils sont aussi plus sensibles à la préservation de la végétation, des habitats, des paysages et de la nature sauvage. Ils souhaitent plus de concertation locale et des usagers récréatifs, tout en étant plus réticents sur les « règles de bonne conduite ». On touche ici, selon moi, au cœur de l’opposition au Parc National perçu à tort ou à raison comme une structure réglementée et aseptisée à l’intention des citadins et des touristes, là où pour les « usagers » les Hautes Terres devraient rester illustratives de l’Islande terre d’aventures non formatées.

Éternel dilemme : pour protéger la nature, faut-il la réglementer, voire la mettre sous cloche, ou en réserver la jouissance à quelques privilégiés ?  Avec son projet de loi, le gouvernement, en fait très partagé, tente un compromis. Malheureusement le résultat dépendra moins d’une réponse à cette question que d’étroits calculs politiciens à l’approche d’élections législatives. À suivre.

Ce texte a été écrit avec la très large et très compétente collaboration de Michaël Bishop, que je remercie vivement !


[1] La différence avec les résultats cités plus haut peut venir d’une évolution de l’opinion, mais aussi de la méthode mise en œuvre !