J’intitulais « Bruit et Fureur en Islande » mon article de blog du 14 avril, et annonçais sans risque que ce n’était pas fini… De fait les sondages montrent qu’en cas d’élections les trois partis au pouvoir seraient très largement minoritaires. Mais ce ne sont que des sondages et la vie politique islandaise est coutumière de retournements de grande amplitude. Et il y aura aussi le 14 mai de passionnantes élections locales, notamment à Reykjavík, où le parti du Progrès est en passe de gagner des sièges perdus par ses deux alliés au gouvernement.
Bjarni, Katrín et Sigurður Ingi, en d’autres temps !
Est-ce la sortie de l’hiver, évidemment bienvenue ? La société islandaise est toute en agitations, notamment au spectacle qu’offrent deux de ses ministres et non des moindres.
Sigurður Ingi et la couleur de Vigdís
Vigdís
Ainsi des propos racistes de Sigurður Ingi Jóhannsson, ministre des Infrastructures. Le parti du Progrès, qu’il préside, est né en 1916 comme parti agrarien et l’a toujours été jusqu’à la quasi disparition des paysans. Mais la Chambre d’Agriculture est maintenant dirigée par des membres du parti de l’Indépendance, tant Gunnar Þorgeirsson, son Président que Vigdís Häsler, sa Directrice administrative, d’origine indonésienne. Sigurður Ingi est de mauvaise humeur et accompagne de propos jugés racistes son refus de figurer sur une photo avec les dirigeants de la chambre. Vigdís se dit insultée. Le scandale est énorme, attisé par les dénégations de Ingveldur Sæmundsdóttir, directrice de cabinet du ministre « non, je n’ai rien entendu », quelques minutes avant que Sigurður Ingi s’excuse devant la presse : « de ma vie j’ai toujours considéré toutes les personnes comme égales ». Le 7 avril, Vigdís et Sigurður Ingi se rencontrent, et Vigdís publie un communiqué selon lequel l’affaire est close. Pour elle ! Car l’opposition ne manque pas cette occasion pour demander la démission du ministre. Comme le permet la constitution Sigurður Ingi est aussi député. A ce titre il devra répondre devant la présidence de l’Alþingi du non-respect de l’éthique à laquelle tout parlementaire doit s’engager.
Bjarni et son père
Au même moment un autre ministre est attaqué. Bjarni Benediktsson, ministre des Finances et président du parti de l’Indépendance, veut depuis longtemps, malgré une hostilité générale, vendre une partie des participations gardées par l’État dans la banque Íslandsbanki, anciennement Glitnir, mise en faillite lors de la crise 2008. Mais cette vente de 22.5% des actions détenues par l’État, réalisée par la Commission de Gestion des Banques que dirige un ami très proche du ministre, paraît suspecte. Sous le nom de fonds qu’ils dirigent des particuliers auraient acheté des actions dans des conditions avantageuses, ainsi que des salariés de la banque. Lorsqu’enfin, après de longues tergiversations, la liste en est connue, le scandale est patent. Y sont la plupart des « business vikings » dont les noms rappellent aux Islandais les très mauvais souvenirs de la crise financière de 2008, et parmi eux Benedikt Sveinsson, le père du ministre. Bjarni s’étonne : il avait pourtant demandé aux membres de sa famille, qui passe pour la plus riche de l’île, de ne pas souscrire à cette vente !
Résultat : selon un sondage Maskina du 12 avril, chacun des trois partis au gouvernement perd environ 2 points d’intentions de vote, et théoriquement leur majorité. Pour le grand bien de l’Alliance Social-démocrate (+4%) et surtout des Pirates (+7%) qui, avec près de 18% des intentions de vote, dépassent le parti du Progrès. Mais nous savons les Islandais peu rancuniers ; il est probable que ces partis retrouveront vite leur niveau antérieur.
Et il n’y pas que les ministres…
Sólveig Anna
Car il est une Islandaise rancunière : Sólveig Anna Jónsdóttir, présidente du syndicat Efling, qui avec ses 30000 adhérents, est le deuxième syndicat islandais. En conflit avec les représentants des salariés du syndicat, elle a démissionné en novembre 2021 (voir chronique de ce mois). Réélue en février avec 54% des voix des adhérents, elle est claire : « nous sommes là pour servir les intérêts de nos adhérents, les salariés du syndicat qui ne sont pas d’accord avec sa présidente peuvent aller ailleurs ! » Et parce qu’ils ne partent pas assez vite, elle annonce, le 11 avril, un licenciement collectif de tous (plus de 50 !) ces salariés. Ceux-ci en reçoivent la confirmation dès le lendemain. Du jamais vu, même en Islande où la législation sur les licenciements est peu contraignante, et un bel exemple pour les employeurs ! Réélue Vice-présidente en février, Agnieszka Ewa Ziółkowska reçoit elle aussi sa lettre. Et s’inquiète : « Sólveig Anna va-t-elle s’autolicencier ? »
Guðríður et les blancs
Revenons au racisme : Bryndís Björnsdóttir og Steinunn Gunnlaugsdóttir, artistes plasticiennes, ont volé sur la côte sud du Snæfellsnes une célèbre statue de Ásmundur Sveinsson représentant, portant son enfant, Guðríður Þorbjarnardóttir, cette femme dont les Islandais(e)s sont si fièr(e)s, car non contente d’être la première européenne à avoir posé le pieds sur le sol américain, d’avoir fait fuir les Indiens en se dépoitrayant, elle a donné naissance au « premier enfant blanc ». Le projet de Bryndís et Steinunn est d’envoyer Guðríður sur la lune dans une fusée de leur fabrication pour qu’elle y reproduise le même exploit.
Rien de ce qui précède n’est terminé. J’y reviendrai donc dans ma prochaine chronique, peut-être même avant !
Et au milieu de ce tumulte admirons ces trois enfants arrivés parmi les 600 Ukrainiens qui à ce jour ont été accueillis en Islande.
2 avril… J’ai laissé passer un jour de crainte qu’une chronique reçue un 1er avril ne soit jamais lue ! Elle vous parle de l’Ukraine, évidemment, et des conséquences de cette guerre pour l’Islande, mais aussi du manque d’électricité et de main d’œuvre, de l’âge des faucons et de la taille des morues.
Le 5 mars Baldur Þórhallson, professeur de sciences politiques à l’Université d’Islande, jette un pavé dans la mare : « la présence d’une armée en Islande pourrait dissuader des ennemis de l’envahir ». Las, la mare tremble peu. Tout au plus relève-t-on que, selon un sondage Gallup du 14 mars, l’opposition à l’adhésion à l’OTAN passe de 13% (2001) à 9%, alors que les opinions favorables restent au même niveau de 75%.
C’est l’occasion de faire le point. Traditionnellement les Islandais se veulent un peuple pacifique. Mais ont-ils d’autres choix ?
Une des caractéristiques, extraordinaire, de la colonie créée à partir de 874, date officielle, est l’absence de pouvoir exécutif : ni roi, ni armée. Chaque colon défend son territoire avec l’aide éventuelle, grassement rémunérée, du goði auquel il a fait allégeance. Mais l’île est largement ouverte, d’autant plus difficile à défendre que très vite manque le bois nécessaire à la construction de bateaux. La soumission aux rois de Norvège puis de Danemark n’y change rien. L’île est régulièrement visitée par des bateaux venus y faire du commerce. L’abordent aussi des pêcheurs et chasseurs de baleine en manque de vivres, qui ne sont pas toujours accueillis de manière très amicale par des habitants eux-mêmes faméliques. La question de la défense de l’île est brutalement posée en 1627 lorsque quatre navires venus d’Afrique du Nord sèment la terreur en plusieurs lieux, notamment Vestmannaeyjar, dont ils capturent plus de 250 habitants pour en faire des esclaves et en tuent 30 à 40. Mais la question reste sans réponse. Celle-ci d’ailleurs dépend du roi, auquel les Islandais paient l’impôt. Mais on entend aussi, déjà, la fierté d’être un peuple pacifique vivant sur une île ouverte.
Cette fierté est évidemment mise à mal lorsque le 10 mai 1940, sans même avoir prévenu les autorités locales, 28000 Britanniques occupent l’île pour que les Allemands ne le fassent pas. Ils sont remplacés en juillet 1941 par deux fois plus d’Américains qui promettent de partir dès la fin des hostilités. Promesse qu’ils ont du mal à tenir, et qui conduira en 1949 à l’adhésion de l’Islande à l’OTAN malgré de violentes manifestations. L’armée américaine part puis revient sur la base de Keflavík, et elle la quittera en septembre 2006 par souci d’économie et en dépit d’un accord renouvelé peu auparavant par lequel un tel départ ne pouvait avoir lieu que si les deux parties y consentaient.
Violents, les Islandais le deviennent entre 1952 et 1975 lorsqu’il s’agit, non de défendre, mais d’étendre leurs zones de pêches jusqu’à 200 milles marins. Ils font alors preuve d’un art consommé de la bataille navale, au point que la Royal Navy doit abandonner la partie estimant que la défense de quelques chalutiers écossais lui est trop coûteuse.
Þórdís Kolbrún et Mariusz Błaszczak, ministre polonais de la Défense
Aujourd’hui l’adhésion à l’OTAN se manifeste par le stationnement à Keflavík, à tour de rôle, de quelques avions envoyés par des pays de l’Alliance ; et bien évidemment la participation de Þórdís Kolbrún Reykfjörð Gylfadóttir, tout à la fois ministre des Affaires Étrangères et de la Défense, à toutes les réunions de l’Alliance, ainsi qu’à celles du Conseil Nordique.
Partis de manière très cavalière en 2006, les Américains semblent aujourd’hui regretter leur décision. Il s’agissait alors de prendre acte du fait qu’à l’ère des armes modernes une tête de pont au milieu de l’Atlantique ne leur était plus nécessaire. Depuis lors l’océan Arctique est devenu objet de convoitises tant pour ses ressources que comme lieu de passage.
Mais l’agressivité des Russes justifierait elle leur retour en force ? C’est ce que semble souhaiter Baldur, pour qui quelques régiments, non seulement à Keflavík, mais aussi en certains lieux jugés stratégiques de l’île, pourraient avoir un effet dissuasif.
L’idée est balayée d’un revers de main par Albert Jónsson, ancien ambassadeur aux États-Unis et spécialiste des questions de défense. Si dans l’hypothèse d’une 3ème guerre mondiale les Russes voulaient détruire la base de Keflavík, ils enverraient plus volontiers un missile balistique qu’un sous-marin. À quoi servirait une poignée de soldats ?
Donc on ne change rien. Tel est le discours du gouvernement, approuvé, comme le montre le sondage cité plus haut, par les îliens.
Curieusement, selon ce même sondage, c’est l’opinion à l’égard d’une éventuelle adhésion à l’UE qui évolue le plus : de 59% en 2010, le nombre de personnes hostiles à cette adhésion tombe à 33%, alors que 47% lui sont favorables contre 26% en 2010. Cette fois, Bjarni Benediktsson, président du parti de l’Indépendance et ministre des Finances, sort de son silence pour s’agacer : est-ce vraiment le moment de ressortir cette question alors que tout va si bien ?
Comme chaque année, j’espère pour vous que ma chronique de février sera plus courte. De plus j’y ai mis beaucoup de tableaux, mais rien n’y fait !
Ceux qui auront néanmoins le courage d’aller jusqu’au bout apprendront que toutes les restrictions « covid » ont été levées malgré un nombre record d’infections ; et ceux qui iront plus loin encore verront à quoi la plupart des habitants de l’île ont passé leur temps pendant ces 28 jours, et comprendront pourquoi ma rubrique « la vie continue » est si brève !