Islande : quelle gauche ?

Svandís

Le 30 novembre 2024, conformément aux prévisions, la Gauche Verte disparaît de l’Alþingi, elle qui avait obtenu 11 députés sur 63 en 2017 et 8 en 2021. Va-t-elle complétement sortir de la vie politique islandaise ?  Les élections locales à venir au printemps prochain nous le diront. Même Svandís Svavarsdóttir, sa présidente, semble douter : « il n’y a plus d’opposition de gauche ! ». Et il est vrai que même le parti Socialiste, qui dans les sondages vient à égalité avec la Gauche Verte et est bien implanté à Reykjavík, ne paraît pas une alternative ou une alliée crédible, tant il est miné par les divisions.

Plus d’opposition de gauche ?  Parce que le gouvernement des Valkyries occuperait tous les espaces disponibles ? 

Rappelons comment nous en sommes arrivés là.

A l’issue des élections législatives de septembre 2017 la composition d’un gouvernement stable parait tâche quasi impossible. Huit partis sont représentés à l’Alþingi, aucune combinaison à deux n’est mathématiquement possible. Katrín Jakobsdóttir, présidente de la Gauche Verte arrivée en deuxième position, et surtout personnalité politique la plus populaire de l’île, propose de composer un gouvernement avec les deux partis traditionnels que sont le parti de l’Indépendance et le parti du Progrès. Le partage est clair : aux deux premiers la finance, l’économie et l’intérieur (donc l’immigration), à la troisième le social et l’environnement. Pour ce qui concerne l’international, les trois partis sont hostiles à l’adhésion à l’UE. Par contre le parti de l’Indépendance est atlantiste, alors que la Gauche Verte se veut neutraliste. Un accord de gouvernement est signé, dans lequel chacun doit accepter des compromis. Très vite on comprend que l’application de cet accord par les dirigeants devenus ministres est mal perçu des électeurs, surtout ceux de la Gauche Verte. Quatre ans plus tard, les conséquences sont évidentes : la Gauche Verte perd trois sièges, le parti de l’Indépendance maintient à grand peine ses positions. Entre les deux, le parti du Progrès, tirant les marrons du feu, n’entend pas la leçon. Pourtant Katrín s’obstine. Les désaccords sont de plus en plus nombreux, sur la politique étrangère et plus encore sur l’immigration, et mal acceptés par les électeurs. Face à des sondages toujours plus mauvais les trois partis se trouvent confrontés à une situation inextricable à mesure que se rapprochent de futures élections : espérer un retournement de l’opinion en mettant en valeur les résultats obtenus, ou revenir à leurs fondamentaux au risque de la rupture. Le résultat est l’immobilisme.

La candidature malheureuse de Katrín Jakobsdóttir à la présidence de son pays et le rafistolage express du gouvernement sous l’autorité de Bjarni Benediktsson (parti de l’Indépendance) précipite les événements. Svandís, maintenant présidente de la Gauche Verte, a senti le danger et contraint Bjarni à la dissolution. Trop tard.

Entre temps, le 22 octobre 2022, l’Alliance Sociale-démocrate (ASD) a élu une jeune présidente, Kristrún Frostadóttir, et ce seul changement a porté le parti au-delà de 20% des intentions de vote. Deux ans plus tard à l’occasion des législatives anticipées du 30 novembre 2024, son parti semble avoir absorbé toutes les voix de gauche. Et ce succès est confirmé par les derniers sondages puisqu’après huit mois de pouvoir l’ASD a progressé de près de moitié, prenant surtout des voix aux deux partis populistes, notamment son allié parti du Peuple considéré comme plus à gauche que le parti du Centre.

Valkyries heureuses

Au centre Redressement consolide ses positions. Rappelons que Þorgerður Katrín Gunnarsdóttir a été une des dirigeantes du parti de l’Indépendance qu’elle a quitté par conviction UE. Élue à l’Alþingi dès 1999, plusieurs fois ministre, elle a une longue expérience de l’action politique. Ministre des Affaires Étrangères dans l’actuel gouvernement, elle en est la véritable numéro 2, apparemment en excellente harmonie avec la jeune Première Ministre. Avec Inga Sæland (parti du Peuple) les Valkyries ont construit un programme qui répond à l’essentiel des demandes des Islandais : amélioration du système de santé, défaillant tant par le nombre des praticiens que par leur implantation, politique du logement plus conforme aux besoins, notamment des plus démunis, neutralité carbone à horizon 2040, préservation de l’identité islandaise, ce qui signifie vraisemblablement une plus grande vigilance dans l’accueil des immigrés, préparation d’une nouvelle négociation d‘adhésion à l’UE. Ce programme devrait notamment être financé par une gestion plus rigoureuse des divers organismes publiques qui supportent l’action de l’état, ce qui pourrait ne pas plaire à tous, tant est grand le besoin de proximité.

Programme de gauche ?  Il est tout cas assez proche de ce que recouvre traditionnellement le qualificatif de social-démocrate en Islande ou ailleurs. Mais s’il n’y a plus d’opposition de gauche, qui va en vérifier l’application, alerter sur telle dérive, éviter l’autosatisfaction, apporter des idées nouvelles ?

En Islande l’Alþingi et le gouvernement ne sont pas seuls. Dans le champ politique ils doivent compter avec une démocratie locale très vivante animée par des dirigeant(e)s de haut niveau. Hors ce dernier une multitude d’associations défendent les intérêts les plus divers, dont la voix est volontiers relayée par la presse.

Sólveig Anna

Parmi elles les syndicats de salariés et d’employeurs ont un rôle déterminant avec pour point focal les accords pluriannuels dont les clauses vont bien au-delà de la politique salariale et finissent par s’imposer au gouvernement. Les syndicats de salariés sont de plus gestionnaires des caisses de retraite par capitalisation qui versent l’essentiel de leur pension aux salariés de 67 ans ou plus, donc de véritables puissances financières, utiles au gouvernement le cas échéant. Sont-ils de gauche ?  Seul Efling, syndicat des personnels peu qualifiés des écoles et autres établissements comparables, deuxième en nombre avec 27000 adhérents souvent immigré(e)s, peut être ainsi considéré, d’autant qu’il a à sa tête Sólveig Anna Jónsdóttir, femme très engagée. Les autres organisations sont beaucoup plus corporatistes, défendant soit une profession soit l’activité d’un territoire, mais la plupart de leurs dirigeant(e)s savent par leurs compétences et leurs fréquentes rencontres tenir compte du contexte.

C’est ce réseau au maillage très serré qui finit par porter aux gouvernants un ensemble de demandes venues du terrain pour que ceux-ci les incluent dans leurs actions. La Gauche Verte avait elle cessé de les entendre ?

Une réponse sur “Islande : quelle gauche ?”

  1. Bonjour et merci pour cette analyse intéressante. Ma réflexion est que bien qu’en Islande la nature nous porte à croire que nous sommes sur une autre planète, ce pays est tout aussi affecté par les mutations du 21 ième siècle. Les notions de droite et gauche ont elles encore un sens? De nos jours les populations partout dans le monde ne sont elles pas soumises aux aléas des personnalités qui les dirigent plutôt qu’à une idéologie construite et structurée ? L’individualisme et le profit prennent le dessus et l’intérêt collectif est de moins en Moins pris en compte. La Nature se transforme et nous pouvons le constater de façon très rapide et spectaculaire. Alors comment se raccrocher à des valeurs collectives qui paraissent tout à fait obsolètes aux nouvelles générations ?
    Droite , Gauche , cela a un sens profond pour nous qui sommes du siècle dernier , mais je ne suis pas sûre qu’il en soit de même pour ce siècle -ci.
    Désolée pour mon pessimisme et encore merci pour vos articles.

Laisser un commentaire