Rien ne va plus !!!

Voici qu’après avoir été portée sur la « liste grise » des pays peu sérieux pour ce qui concerne le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, l’Islande tombe de la première à la cinquième place dans le classement des pays soucieux de l’égalité et de la sécurité des femmes. C’est bien plus grave que la présence sur la liste grise, tant l’image de l’Islande est associée à l’égalité des sexes. Et ceci au moment même où une première ministre très engagée est présente partout où elle peut valoriser les succès de son île (et de son gouvernement…) sur ce sujet. Mais voici que la Norvège, la Suisse, le Danemark et la Finlande lui passent devant !

Trois critères sont en cause : le taux d’emploi des femmes, qui passe de 77.2 à 68.6%, le sentiment de sécurité, où l’Islande se trouve à 20 points derrière la Suisse, et le résultat des dernières élections législatives, où le nombre de femmes à l’Alþingi est tombé de 30 à 24.

Edda

Dans une tribune qui fait grand bruit, intitulée « Dire une chose et faire l’inverse ! », Edda Hermannsdóttir, directrice du marketing de l’Íslandsbanki, engage sa banque  tant sur la protection de l’environnement que sur la place des femmes : « nous nous engageons à ne pas acheter de services auprès d’entreprises où il n’y a que des hommes, nous n’imprimerons plus de brochures et ne ferons de publicité que dans les supports soucieux d’égalité des sexes… ».

Trop c’est trop : Hjálmar Jónsson, président de l’association des journalistes, appelle au respect de la liberté d’informer, qui elle-même dépend de la publicité,  Helgi Magnús Gunnarsson, juriste, va transférer ses comptes dans une banque plus compréhensive, Bjarni Benediktsson, Ministre des Finances, trouve le projet « bizarre ». Quant à Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, souvent cité ici, il se dit « effrayé » !

Birna Einarsdóttir, présidente de l’ Íslandsbanki, doit calmer le jeu : les intentions de la banque auraient dû être mieux expliquées !

L’Islande sur la « liste grise » !!!

Liste grise ?  Celle des pays que le Groupe d’Action Financière (GAFI ou FATP en anglais) considère comme ne faisant pas assez contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Elle y est le seul pays d’Europe, en bonne compagnie puisque viennent d’y entrer avec elle la Mongolie et le Zimbabwe. Tous trois rejoignent des pays comme le Botswana, la Syrie, le Yémen ou encore Panama et la Corée du Nord, jugés « institutions à haut risque et non coopératives ».

L’émotion est grande : « qui peut croire que nous ayons quoi que ce soit de commun avec les pays qui sont sur cette liste ? » s’écrie Þórdís Kolbrún Reykfjörð Gylfadóttir, Ministre de l’économie (Parti de l’Indépendance), devant l’Alþingi…

Basé à Paris, le GAFI n’est pas une organisation fantaisiste. Il a été créé lors du sommet du G7 en 1989 afin de lutter contre le blanchiment d’argent international et ultérieurement le financement du terrorisme. Il comprend les pays du G7, de l’UE et sept autres pays (dont l’Islande !), et a depuis émis 51 recommandations que les pays doivent suivre.

L’affaire est ancienne et les trois banques qui ont fait faillite en 2009 n’étaient pas totalement blanches sur le sujet. Ultérieurement, suite aux observations du GAFT, un travail de mise en conformité est engagé, apparemment sans enthousiasme jusque 2015. Il semble que les autorités islandaises, trop sûres de leur image d’honnêteté, n’aient pas considéré comme prioritaires les demandes du GAFI. Il est aussi possible que certains Islandais très bien placés n’aient pas eu envie que toute la lumière soit faite sur la provenance de leurs revenus ?  Souvenons-nous du nombre d’Islandais cités sur les Panama Papers, et de la qualité de certains !

Katrín est fachée

Dans un communiqué le Ministère de la Justice estime mal fondée et disproportionnée la décision du GAFI, rappelle les mesures déjà prises et lui demande de revenir sur une décision très dommageable pour l’économie de l’île… mais peut-être salutaire ?

Généalogie à l’islandaise

Après d’austères réflexions sur l’Islande et l’Espace Économique Européen, revenons au sourire avec cette information recueillie dans la presse :

Le Samband ungra sjálfstæðismanna (SUS – association des jeunes du Parti de l’Indépendance), creuset des futurs dirigeants d’un parti politique encore dominant, s’est réuni du 20 au 22 septembre à Akureyri et a renouvelé sa direction à l’issue de ses travaux. Ont été élu(e)s Présidente Halla Sigrún Mathiesen et Vice Président Páll Magnús Pálsson…

Halla Sigrún Mathiesen ?  Elle est la fille de Árni M. Mathiesen, ministre des Finances (Parti de l’Indépendance) de 2005 à 2009, lui-même fils de Mathias Á. Mathiesen, ancien ministre. Árni est notamment connu pour une conversation téléphonique orageuse avec Alistair Darling, son homologue britannique, le 7 octobre 2008, à l’issue de laquelle celui-ci donnera le coup de grâce au système bancaire islandais en inscrivant notre île sur la liste des organisations terroristes mondiales et fera saisir manu militari les derniers actifs de Landsbanki sur sa propre île.

Et Páll Magnús Pálsson ?  Il est le fils de Páll Magnússon, député depuis 2016 (Parti de l’Indépendance), lui-même fils de Magnús H. Magnússon, ancien ministre. Avant d’être élu à l’Alþingi, Páll Magnússon était Directeur Général de RÚV (radio et TV nationale) et est actuellement de très méchante humeur car il n’est pas ministre !  L’auteur de l’article se fait encore plaisir en précisant que la fiancée de Páll le jeune est la fille d’un premier mariage de Ágústa Johnson, aujourd’hui épouse de Gunnlaugur Þór Þorðarson, Ministre des Affaires Etrangères (Parti de l’Indépendance).

Cette quasi consanguinité n’est pas en Islande une spécialité du Parti de l’Indépendance mais y est plus fréquente que dans d’autres partis. On pourrait la compléter d’une multitude d’exemples, le plus célèbre étant les Engeyingar (famille de Bjarni Benediktsson, président de ce parti, ainsi nommés car l’île Engey est le berceau de la dynastie). Ces liens sont le plus souvent rapportés avec le sourire et même de la fierté, comme une caractéristique de la société islandaise. D’autres s’en agacent, au point d’en paraître gênés comme s’il s’agissait d’une preuve de sous-développement.

L’Islande n’est évidemment pas seule à connaître ce type de situation. Mais elle est nécessairement beaucoup plus fréquente quand la population est peu nombreuse. Encore plus si celle-ci (80000 seulement au début du XXème siècle) est sortie de la misère grâce à quelques entrepreneurs audacieux qui ont associé responsabilités économiques et politiques, et dont certains descendants ont su rester au premier plan. Tous se connaissent, sont cousins, sont allés dans les mêmes lycées où pendant quatre ans l’engagement au service de la communauté a été valorisé. Pourtant, même si comme ailleurs il est plus facile de progresser si l’on est fille ou fils de…, cette élite n’est pas imperméable. Et les exemples sont nombreux de réussite d’enfants de pêcheurs ou de fermiers…  qui s’empressent de fonder à leur tour une dynastie !

L’Islande dans l’Espace Économique Européen – le rapport de Björn Bjarnason

La loi autorisant l’adhésion de l’Islande à l’Espace Économique Européen (EEE) qui, outre notre île, associe étroitement aux pays de l’UE, le Lichtenstein et la Norvège, a été votée le 12 janvier 1993 et est entrée en application le 1er janvier de l’année suivante ; non sans mal tant ont été violentes les manifestations d’hostilité, à l’Alþingi mais aussi dans la rue.

25 ans après, Guðlaugur Þór Þorðarsson, Ministre des Affaires Étrangères (Parti de l’Indépendance) a confié à Björn Bjarnason, ancien ministre, lui aussi du Parti de l’Indépendance, la mission de diriger un groupe de travail sur les avantages et inconvénients de cette adhésion. Ce pouvait être inquiétant pour les personnes qui lui sont favorables. Ministre des Affaires étrangères depuis janvier 2017, Guðlaugur Þór n’avait pas manqué une occasion de vilipender l’UE et parfois l’EEE à l’aide d’arguments parfois surprenants, et manifesté un intérêt envieux pour le Brexit, avant une sensible inflexion au cours de ces derniers mois. Björn, à l’instar de la vieille garde du Parti de l’Indépendance, passait lui aussi pour très frileux sur le sujet. Par contre il est connu pour sa grande culture politique et son honnêteté intellectuelle.

Björn

Le rapport fait 302 pages !  Dans son introduction Björn insiste sur le fait que l’objectif du rapport n’est pas de prendre position pour ou contre l’adhésion à l’EEE, mais d’apporter des informations aux décideurs. Pourtant, dès les premières lignes, après avoir précisé que le groupe de travail a rencontré 147 personnes concernées d’une manière ou autre par le sujet, il ajoute : « en bref, toutes les personnes que nous avons rencontrées se félicitent de la présence de l’Islande dans l’EEE, hormis les membres de l’Association « Frjálst land » (Pays libre). Elle représente un apport important pour tous ceux qui travaillent dans les domaines qu’elle couvre. »

Les électeurs ne sont pas si unanimes : selon un sondage cité dans le rapport et publié dans le 21 juin 2019, 55.2% des personnes interrogées se disent satisfaites ou très satisfaites de cette adhésion, 32.9% sont partagées et 11.8% en ont une vision négative. Il est vrai que seul un gros tiers des personnes sondées dit bien connaître le contenu de l’accord, alors que 20% reconnaissent leur ignorance.

Plus intéressantes encore sont les raisons de ces choix : 49% de ceux qui sont favorables à l’accord le sont parce qu’il ouvre des débouchés économiques, mais 23% seulement pour les possibilités d’études et d’emploi sur tout l’Espace et 8% pour la coopération européenne. L’EEE est donc pour eux un accord commercial avant tout, alors qu’il s’agit de toute autre chose. Les opposants le sont à 31% à cause de la perte d’indépendance et 15% à cause de la lourdeur des règles.

Passons au niveau de la classe politique. Les débats autour du Troisième Paquet de l’Énergie, dont l’acceptation résulte de l’adhésion à l’EEE, révèlent un profond décalage, et préoccupant, avec ce qui précède. Si après le psychodrame collectif dont j’ai fait état ici et dans mes chroniques à plusieurs reprises, le texte a été largement approuvé (46 voix pour, 13 contre et 4 abstentions), le soutien a été bien plus fort du côté de l’opposition, à l’exception des deux partis « populistes», que de la part des trois partis au pouvoir, qui ont fait un choix de raison, soucieux avant tout de ne pas casser leur alliance. Même le soutien de Katrín Jakobsdóttir a été discret. Quant au Parti de l‘Indépendance, malgré l’approbation immédiate et courageuse de Þórdís Kolbrún Gylfadóttir, Ministre de l’industrie et Vice Présidente du parti, il a fallu, semble-t-il, l’intervention de Björn Bjarnason – peut-être converti par son propre rapport ! – pour que le « oui au texte » l’emporte après, voici un peu plus d’un an, une violente diatribe de Bjarni Benediktsson, son président. Peut-être est-ce à cause de la pusillanimité de ces dirigeants que ce remarquable rapport est malheureusement passé inaperçu, ou presque, au lieu de susciter le débat que mérite le sujet !

Voici qui illustre comment en Islande – et ailleurs ! – une grande partie de la classe politique, celle justement qui a toujours exercé le pouvoir depuis l’indépendance de l’île, est à la traîne de l’opinion alors que celle-ci est désorientée et demande qu’on l’éclaire à un moment où elle se sent à la croisée des chemins. Ce qui explique un malaise croissant exprimé par deux dissolutions et les mouvements sociaux du début d’année…

…et explique aussi, en partie, qu’une grande partie des Islandais se soient laissés berner par Sigmundur Davíð Gunnlaugsson à propos du Troisième Paquet !  J’y reviendrai.

Chronique de septembre 2019

Bonjour,

Septembre, et parfois du soleil et des températures clémentes…  Le 3ème Paquet (de l’Énergie !) est enfin derrière et la vie économico-politico-sociale, et culturelle, reprend son cours… Pourtant les débats du printemps et de l’été méritent réflexions. J’y reviendrai certainement le mois prochain dans ma chronique ou dans ce blog.

Bonne lecture,