Chronique islandaise – juin 2022

Bonjour,

Voici donc ma chronique islandaise pour juin : de l’économie comme prévu, au moment où l’inflation s’emballe, de la politique étrangère, où un petit pays veut marquer sa place…  Et aussi ce pèlerinage imprévu de marins (skippers !)  à  Fáskrúðfjörður, dont l’hôpital a si souvent accueilli les pêcheurs français.

Je souhaite à tous un bel été,

Cordialement,

Michel

Islande : résurrection du parti du Progrès ? (II)

Dans mon article sur ce sujet la question était posée : cette résurrection est-elle réelle, sera-t-elle durable ?

Réelle ?  Cela paraît évident si l’on considère les résultats des dernières élections. Élections législatives où ce parti passe de 10.7 à 17.3% des suffrages exprimés, alors que ses deux alliés au gouvernement perdent des voix. Ou encore élections locales où il passe de 8.5 à 18% au niveau national, avec une percée spectaculaire à Reykjavík (de 0 à 4 sièges sur 23). Et la tendance est confirmée par le sondage Gallup de fin mai (voir tableau ci-dessous), où le Framsókn est à 17.5%, le parti de l’Indépendance à 20.1%, la Gauche Verte à 8.1% et le parti du Centre à 4.3%.

S’agit-il uniquement d’un phénomène de vases communiquants entre le Framsókn et le parti du Centre créé par Sigmundur Davíð Gunnlaugsson après son retrait du premier ? Il est vrai (voir tableau joint à mon premier article) que l’addition des deux partis en 2017 et 2022 est stable à environ 22%. Il y a donc bien un « retour à la maison ». Mais on peut aussi supposer que les gains du parti du Peuple (de 6.9 à 8.8%) sont partiellement dus à des électeurs transfuges du parti du Centre, et que par contre le Framsókn a dû prendre des voix à ses deux alliés. Il y aurait donc bien un double mouvement dont le solde est une progression,

Voyons les vases communiquants. Nommé Premier ministre le 23 mai 2013 après une victoire sans précédent aux élections législatives, Sigmundur Davíð perd rapidement du terrain malgré des discours et quelques mesures très démagogiques. Un an plus tard son Framsókn est en dessous de 14%. Et voici qu’en mars 2016 un mot provoque sa chute : « Wintris » du nom d’un fonds basé aux îles Vierges dont il est le propriétaire avec son épouse, et dont l’existence est révélée par les Panama Papers. Dans un premier temps, il se met « en retrait » du gouvernement. Son interim est assuré par Sigurður Ingi Jóhannsson, vice-président du Framsókn, alors considéré comme le fidèle d’entre les fidèles, en attendant des élections prévues pour octobre 2016. Entre temps, à la surprise générale, Sigurður Ingi s’avère un premier Ministre très consensuel et sait remettre du calme dans son parti. Le 2 octobre 2016 au congrès du Framsókn, l’homme à qui Sigmundur Davíð avait confié les clés du parti s’oppose à lui et est élu président avec 370 voix contre 329. La faiblesse de l‘écart montre combien Sigmundur Davíð, malgré sa malhonnêteté et un discours arrogant et diviseur est resté populaire dans son parti. C’est pourquoi de nombreux cadres le suivent lorsqu’il quitte le parti et, le 15 octobre 2017, fonde un mouvement, curieusement appelé parti du Centre (Miðflokkur). Il était temps : à la suite d’une nouvelle crise gouvernementale des élections ont lieu le 28 octobre où le nouveau parti tout juste créé fait jeu égal avec l’ancien (10.9%/10.7%). On peut s’inquiéter pour le Framsókn, maintenant au gouvernement avec la Gauche Verte de la première Ministre Katrín Jakobsdóttir et le parti de l’Indépendance.

au galop ?

Et en effet rien ne semble empêcher la progression du parti du Centre, même les propos nauséabonds de ses dirigeants sur leurs collègues femmes enregistrés à leur insu le 20 novembre 2018 dans un café de Reykjavík appelé « Klaustur ». Selon les sondages l’audience des deux partis ne se rééquilibre que dans le courant de 2020, à un niveau inférieur à 10%. Et ce n’est qu’au début de 2021 que l’écart se creuse pour aboutir au résultat mentionné dans le tableau.

Que s’est-il passé ?

Du coté du parti du Centre :

  • un discours de plus en plus radical – trumpiste – et confus de Sigmundur Davíð Gunnlaugsson et ses députés à l’Alþingi, qui ne semblent avoir d’autre objectif qu’occuper la tribune le plus longtemps possible,
  • un populisme vindicatif opposé à celui que porte Inga Sæland et son parti du Peuple, attentif aux personnes en difficulté quitte à proposer des solutions bien démagogiques.

Du coté du parti du Progrès :

  • Sigurður Ingi sait profiter de la position centrale de son parti dans l’alliance au pouvoir depuis 2017, alors que ses deux alliés, à droite et surtout à gauche, se voient reprocher par leurs sympathisants les concessions nécessaires au maintien de l’alliance,
  • il convient d’y ajouter la posture très « bonhomme » et sécurisante de cet homme de 60 ans venu du monde paysan, même s’il s’est lui aussi laissé aller à un écart de langage bien fâcheux (voir cet article ),
  • ce positionnement d’écoute et d’arbitre est d’autant plus aisé que les trois autres ministres occupent des portefeuilles très « sociaux » – éducation, affaires sociales et santé – où ils savent notamment montrer leur sensibilité aux situations générées par le Covid.

Voici le parti du Progrès réinstallé à la place qu’il a presque toujours occupée dans l’histoire politique islandaise, la seconde derrière le parti de l’Indépendance dont il a souvent été l’allié pour éviter l’arrivée de la gauche au pouvoir. Mais la situation actuelle est différente : l’audience de ses deux alliés au gouvernement continue de s’effriter à son profit. Dans le cas, de plus en plus vraisemblable, où cette alliance éclaterait il peut diriger une solution alternative associant les trois principaux partis de l’opposition, ou leur être associé, sous réserve que ne soit pas abordé le sujet de l’adhésion à l’UE à laquelle il reste hostile.

Mais peut-il (re) construire une offre propre ?

Il se dit « parti de la coopération et de la liberté », centriste mais à l’écoute de tous (je paraphrase Sigurður Ingi). Paradoxalement, un premier atout est son ancienneté : il a été présent dans tous les combats pour défendre l’indépendance de l’île, et ceci peut rassurer des Islandais, grand ouverts au monde mais pas prêts à accepter leur dilution dans celui-ci. Il a été aussi le parti des coopératives, et même si celles-ci ont disparu, l’idée de coopération reste consubstantielle de l’identité islandaise et est encore présente dans la vie quotidienne. Ainsi les premiers mots de Einar Þorsteinsson, tête de liste Framsókn à Reykjavík, sont pour regretter les zizanies dans l’ancien conseil municipal.

Voici pour le passé ; mais l’avenir ?  Lors de l’organisation du nouveau gouvernement Sigurður Ingi a beaucoup insisté pour la création sous sa responsabilité d’un « Innviðaráðuneyti », traduit le plus souvent par ministère de l’Infrastructure. Il associe les transports, et les systèmes et installations sous-jacentes, les communications, les relations avec les collectivités territoriales et la gestion de l’état-civil et du cadastre. Le 16 juin, le Framsókn fait voter un plan à 3 ans d’aménagement du territoire, destiné à limiter la migration vers la capitale, et qui aborde aussi bien les infrastructures que les services publics et le développement de la démocratie locale. Y sont associés tous les ministères, les collectivités territoriales et les nombreuses associations concernées. Vise-t-il à les entraîner vers cette « Habitabilité » évoquée dans l’un de mes articles (voir cet article) ?

Islande : résurrection du parti du Progrès ? (1)

Framsókn

Le 14 mai, en passant de 0 à 4 sièges sur 23 au conseil municipal de Reykjavík lors des élections locales, le Framsókn, nom familier pour Framsóknarflokkur (parti du Progrès) surprend jusqu’à ses dirigeants. Et il n’y a pas que Reykjavík : le Framsókn gagne de 1 à 2 sièges dans chacune des 6 autres communes de la région-capitale. Et au niveau national, de 8.5% des voix et 45 sièges en 2018, il passe à 18% et 67 sièges. Il confirme ainsi sa victoire aux élections législatives du 25 septembre 2021 (de 8 à 13 sièges), grâce à laquelle la majorité tripartite a pu se targuer d’une victoire (de 35 à 37 sièges) alors que la Gauche Verte a perdu 3 sièges et que le parti de l’Indépendance a gardé ses 16 sièges tout en perdant des voix. 

Résurrection du plus vieux parti d’Islande ?  C’est en tout cas un passionnant épisode d’une histoire bien tourmentée. Fondé en 1916, le Framsókn se veut parti agrarien, porte-parole politique des organisations paysannes, et très lié au mouvement coopératif, principale force économique de l’île jusqu’au début des années 1990. En conséquence il défend une vision administrée de l’économie. Mais voici que disparaissent les paysans et aussi, sous les coups du parti de l’Indépendance, le mouvement coopératif (voir mon article du blog à ce propos). Après avoir donné à la politique islandaise quelques figures emblématiques, notamment Hermann Jónasson, Président du parti de 1944 à 1962 et ministre ou Premier ministre de 1934 à 1958, et son fils Steingrímur Hermannsson, Premier ministre de 1983 à 1991, le Framsókn paraît désorienté et vire vers le libéralisme au point que ses orientations se distinguent mal de celles du Parti de l’Indépendance, peut-être pour en rester l’allié naturel.

Sigmundur Davíð

En janvier 2009 Sigmundur Davíð Gunnlaugsson s’empare de sa présidence après trois mois d’adhésion. Malgré les prises de position très populistes de ce dernier le Framsókn ne semble pas en mesure de progresser très au-delà des 15% obtenus en 2009. Or voici que le jugement favorable, et inattendu, de la Cour de Justice de l’AELE à propos de l’agence bancaire Icesave, connu en janvier 2013, vient légitimer aux yeux de l’opinion islandaise l’opposition systématique de Sigmundur Davíð à tout compromis et ses positions les plus étroitement nationalistes et démagogiques. C’est ainsi qu’aux élections législatives de 2013 le Framsókn est porté à un niveau jamais atteint : 24.4% et 19 députés au lieu de 14.8% et 9 députés quatre ans auparavant !

Sigurður Ingi Jóhannsson entouré des ministres Lilja Alfreðsdóttir et Ásmundur Einar Daðason

Las, voici que devenu Premier ministre Sigmundur Davíð est pris dans le scandale des Panama papers. Il doit quitter son poste et le laisser à son vice-président Sigurður Ingi Jóhannsson, en attendant qu’aient lieu de nouvelles élections législatives. Mais il est aussi poussé vers la sortie de son parti et fonde le parti du Centre, que son populisme place vite à l’extrême droite. Son choix d’abord paraît le bon : en 2017 le nouveau parti fait jeu égal avec le Framsókn en voix. Ce dernier perd 11 de ses 19 sièges, alors que le parti du Centre en gagne 7. Simultanément apparaît le parti du Peuple qui à la surprise générale obtient 4 sièges. Son apparente proximité avec le parti du Centre est telle que Sigmundur Davíð parvient à attirer deux de ses députés vers son propre mouvement ce qui en fait le deuxième parti de l’Alþingi et un opposant violent, pendant que le Framsókn avec ses trois ministres (photo) semble perdre du terrain pendant une bonne partie de la législature 2017-2021. Le retournement est perceptible au cours des derniers mois de celle-ci, mais son amplitude surprend : le Framsókn passe de 8 à 13 députés et le parti du Centre de 9 à 3, dont un va immédiatement rejoindre le parti de l’Indépendance. Autre résultat, important pour l’analyse : le parti du Peuple obtient 6 sièges au lieu des 2 qui lui restaient.

Résurrection durable ?  Retour de flammes sans suite, dont la vie politique islandaise, nécessairement très personnalisée, est coutumière ?  Pour tenter un pronostic il importe de démêler l’écheveau des causes possibles : habileté des nouveaux dirigeants du Framsókn et qualité de leurs choix ? personnalité de Sigurður Ingi, excès de Sigmundur Davíð ? le tout sur fond de Covid…  Ou plus profondément : révérence faite à un parti politique intimement associé aux valeurs traditionnelles islandaises, en même temps que proximité avec le concept d’« habitabilité » cher à certains écologistes (voir mon article de blog à ce propos) ?

Laissez-moi le temps d’y réfléchir avant un deuxième article…

Chronique islandaise – mai 2022

Bonjour,

La confluence de l’actualité islandaise et de mes propres contraintes m’a conduit à ne traiter de celle-là que la politique, locale avec les élections, et nationale à cause de désaccords de plus en plus flagrants au sein de la majorité. Rien donc sur l’économique et le culturel et peu sur le social, ce sera pour le mois prochain. Mais une compensation : Priscilla et Mark au bain parmi les moutons !

Bonne lecture,

Michel

Élections locales en Islande : à chaud !

Je sais que tous les lecteurs de ce blog sont avides de connaître les résultats des élections locales qui ont eu lieu samedi dernier. Les voici, à chaud !

Ce 14 mai en effet les Islandais et étrangers en ayant le droit (tous ressortissants des pays Nordiques et les autres étrangers ayant 3 années de séjour sur l‘île) pouvaient voter pour le renouvellement des conseils des 69 collectivités territoriales de l’île, soit 277127 inscrits. Dont la répartition est très déséquilibrée, allant de 100405 pour Reykjavík et 177815 si l’on inclut les collectivités formant la région de la capitale, à quelques dizaines dans certaines collectivités, par exemple 5259 inscrits dans les 9 collectivités des fjords de l’ouest et nord-ouest. On comprend que dans celles-ci les choix se fassent plus en fonction des relations interpersonnelles que selon les étiquettes partisanes. C’est pourquoi il y a un bon nombre de listes locales et parfois une seule liste.

De telles disparités rendent toute analyse nationale peu significative. Cette année pourtant les résultats se caractérisent par une remarquable victoire du parti du Progrès, déjà visible à l‘occasion des élections législatives du 25 septembre. J’y reviendrai dans un prochain article. Voyons aujourd’hui quelques résultats locaux, notamment ceux de Reykjavík.

Dagur ; « tout n’est pas perdu: »

Voici quatre ans le maire Dagur B. Eggertsson (Alliance Social-démocrate) avait dû pour garder son poste[1] composer une alliance associant Redressement, les Pirates (2 sièges chacun), et la Gauche Verte (1 siège) aux 7 que sa liste avait obtenus, soit 12 sièges sur 23. Majorité « improbable » mais que Dagur avait été assez habile pour faire durer. Au prix peut-être de trop de compromis ?  Sa liste perd 2 sièges et Redressement 1, alors que les Pirates passent de 2 à 3 sièges, assez loin de ce qu’ils espéraient. Quant à la Gauche Verte, parti de la Première Ministre, elle réussit, tout en perdant des voix, à préserver son seul siège. Donc Dagur a perdu. Tout comme son principal opposant, le parti de l’Indépendance, qui tombe de 8 à 6 sièges, mais garde le droit de dire qu’il est encore le premier parti de la capitale, longtemps sa chasse gardée. On a compris que le vainqueur est le parti du Progrès, qui de 0 siège passe à 4, d’une telle ampleur que sa tête de liste Einar Benediktsson s’en dit surpris. Le voici donc maître du jeu.

Einar entouré des ministres Lilja Alfreðsdóttir et Ásmundur Einar Daðason

Mais il n’y a pas que Reykjavík : le Framsókn (petit nom pour Framsóknarflokkur – parti du Progrès) gagne de 1 à 2 sièges dans chacune des 6 autres communes de la région-capitale. Au niveau national, de 8.5% des voix et 45 sièges en 2018, il passe à 18% et 67 sièges !  Seul Akureyri échappe partiellement à la vague, ce qui est d’autant plus étonnant que le nord de l’île a été le berceau du mouvement coopératif islandais et que le parti du Progrès, alors agrarien, était son expression politique ! La liste locale obtient 18.7% des voix et 3 des 11 sièges, suivie par le parti de l’Indépendance 18% et 2 sièges, comme le parti du Progrès 17% et 2 sièges. Quatre autres partis obtiennent chacun 1 siège.

Étonnante résurrection que celle du Framsókn, plus vieux parti politique de l’île, proche de la disparition voici quelques mois, après la scission de Sigmundur Davíð Gunnlaugsson et son parti du Centre. Elle tient beaucoup à la personnalité bonhomme de son président Sigurður Ingi Jóhannsson, malgré une énorme bourde raciste rapportée ici (voir Bruit et Fureur en Islande) et qui l’a contraint à se mettre en retrait ; elle tient aussi au travail des deux autres ministres du parti présents dans le précédent gouvernement et au choix d’un positionnement très centre-social.

Une histoire passionnante, sur laquelle je reviendrai le mois prochain.

Autre constat : la progression de l’abstention, de 32% en 2018 à 37%. C’est un problème, surtout si l’on considère l’importance de la décentralisation et de la vie locale en Islande. Même à Reykjavík où la bataille s’annonçait chaude autour d’enjeux importants pour l’avenir de la ville (logements, transports en commun…), le taux de participation n’a été que 61.1%, soit une chute de 5.9%. Certes les bureaux de vote se sont vidés en fin d’après-midi au moment de la prestation du groupe islandais à l’Eurovision, mais cette explication est insuffisante !

Et puis il y a évidemment eu un tremblement de terre, annonciateur probable d’une nouvelle éruption volcanique !


[1] En Islande le Maire est choisi par le Conseil Municipal soit en son sein soit sur appel public de candidatures